« What is it? Is it coming this way? » Cloverfield, un nouveau regard sur l’effroi

« What is it? Is it coming this way? » Cloverfield, un nouveau regard sur l’effroi

Soumis par Sébastien Hubier le 14/04/2021

 

« L’événement, c’est ce qui arrive et en arrivant arrive à me surprendre, à surprendre et à suspendre la compréhension : l’événement, c’est d’abord ce que d’abord je ne comprends pas. Mieux, l’événement c’est d’abord que je ne comprenne pas. Il consiste en ce que je ne comprends pas : ce que je ne comprends pas et d’abord que je ne comprenne pas, le fait que je ne comprends pas : mon incompréhension »[1].

 

« Still filming? » Au mitan de Cloverfield (2008) et en pleine catastrophe, c’est la question que Rob Hawkins (Michael Stahl-David) pose à son ami Hud (J.J. Miller) qui s’empresse de lui répondre : « Yeah, people are gonna want to know... how it all went down […]. People need to see this, you know? It’s gonna be important. People are going to watch this ». Voilà qui inscrit résolument le film dans le film au cœur de la logique testimoniale qu’induit tout « événement traumatique » ; cet « événement traumatique » dont Dori Laub a pointé les paradoxes près de dix ans avant le onze septembre :

 

The traumatic event, although real, took place outside the parameters of “normal” reality, such as causality, sequence, place and time. The trauma is thus an event that has no beginning, no ending, no before, no during and no after. This absence of categories that define it lends it a quality of “otherness”, a salience, a timelessness and a ubiquity that puts it outside the range of associatively linked experiences, outside the range of comprehension, of recounting and of mastery.[2]

 

En d’autres termes, le film de Hud serait comme un défi lancé à la démonstration de Derrida selon laquelle « les seuls témoignages qui échappent à l’archivation, ce sont ceux des victimes, non pas des morts ou des cadavres [...] mais des disparus »[3]. Car disparaître est bien le sort, peu enviable, qui attend les protagonistes de Cloverfield.

Toutefois, n’allons pas trop vite en besogne et revenons un peu en arrière. Point de musique dans le générique du début ; seul compte d’abord ce qui est écrit sur l’écran où tout concourt à donner au spectateur l’illusion qu’il est sur le point de visionner un document militaire classé secret par l’armée : une carte Sd reproduisant une cassette retrouvée dans la zone Us 447, connue autrefois sous le nom de Central Park. Puis, in medias res, commence l’histoire proprement dite : pour des raisons professionnelles, Rob doit partir pour le Japon en dépit qu’en ait sa petite amie, Beth McIntyre (Odette Yustman). Pour l’occasion, une quarantaine de ses amis et relations ont, en cachette, organisé chez lui une party que Hud est chargé d’immortaliser grâce à son caméscope. Tout se passe sans anicroche, entre bouteilles de Budweiser et shots de Jack Daniel’s. Tout, ou presque, car Beth, irritée, a quitté, fâchée, les réjouissances. Ces dernières battent leur plein lorsqu’une violente secousse ébranle l’immeuble. Tous s’interrogent (« think it’s an other terrorist attack? ») et se précipitent dans la rue où une foule inquiète s’est rassemblée en quelques instants — rue en laquelle le spectateur croit subrepticement reconnaître Walker Street dans le Lower East Side. Soudain, un grondement sourd se fait entendre et la tête de la Statue de la Liberté tombe brutalement sur la chaussée. Des passants, bien qu’apeurés, sortent leur smartphones pour photographier la scène, pointant du doigt notre boulimie d’images. Car Cloverfield est une marque de notre actuelle obsession de voir, de voir tout, tout le temps, de partout — du toit d’un immeuble de Broadway, de la rue, de loin, de près, en vrai ou à la télévision (significativement, c’est sur Cnn qu’on apercevra d’abord la créature — « Breaking News: New York Under Attack » — et c’est sur la même chaîne d’information continue qu’on verra choir sur les trottoirs de New York les parasites qui l’infestaient et envahiront immédiatement les labyrinthes compliqués de la ville souterraine : couloirs, quais et voies du métro, galeries d’égouts, malls et marchés souterrains[4]). D’évidence, donc, Manhattan est attaquée et Rob, qui veut, coûte que coûte, retrouver sa jolie girlfriend, se dirige vers Columbus Circle, où elle vit, pour la sauver, contre toute raison. Hud, Lily (Jessica Lucas), Marlena (Lizzy Caplan) et lui-même empruntent ainsi les tunnels du métro de la Eight Avenue Express qui, plongés dans l’obscurité, les conduisent de Spring Street à la 59e rue, décor habituel d’horror movies ou de films de tueurs en série de C.H.U.D. (Cannibalistic Humanoid Underground Dwellers) (1984) à The Midnight Meat Train (2008) en passant par Creep (2004) ou End of the Line (2007). Bien vite, en même temps que le groupe d’amis, nous saisissons qu’il ne s’agit pas de terroristes, mais d’un monstre, sorte de croisement contre-nature entre le Godzilla nippon et le Cthulhu de Lovecraft[5]. En réalité, nous ne faisons alors qu’apprendre, si je puis dire, que ce que nous savions déjà, car lorsqu’on regardait attentivement l’affiche originale du film, on apercevait, dans les nuages, en haut à droite, le museau d’une créature penchée sur la statue de la Liberté décapitée — créature à la gueule ouverte et à la narine frémissante[6].

Dès lors, l’interrogation qui fonde le suspens n’est pas de savoir qui attaque, mais d’ vient le danger (Hud, Marlena et Rob se lancent d’ailleurs dans une véritable controverse à ce propos : « Ocean is big, dude. All I’m saying is a couple of years ago, they found a fish in Madagascar that they thought been extinct for centuries […] Maybe it erupted from an ocean trench, you know? Or a crevasse. Crevice. It’s just a theory. I mean, for all we know, it’s from another planet and it flew here […] Like Superman »). Les conjectures vont bon train — pour lesquelles le spectateur n’aura de réponse, du reste, fugitive, qu’à la toute fin du film, dans les instants qui précèdent le générique. Le monstre, à l’origine inconnue, est conjointement peu visible et toujours présent[7]. A peine montré à l’écran, cette créature n’est qu’entrevue, dans une perspective restreinte et le plus souvent au loin, dissimulée par des buildings ou engloutie dans les nuées de poussières et de gravats.

Mais ce jeu de caché-montré est loin d’être gratuit et la dynamique de l’apparition et de la disparition nous mène directement aux considérations freudiennes sur l’inquiétante étrangeté. Répétant le fort-da freudien, il met en effet en continuité, d’un point de vue diégétique, l’absence et la mort et permet au spectateur de vivre sa peur en toute sécurité dans une épreuve ludique, fictive, de réalité, et même de jouir de l’angoisse qu’il éprouve devant des événements qui littéralement le dépassent, à la fois parce qu’ils sont plus grands que nature et parce qu’ils outrepassent les bornes habituelles de l’imagination. Si l’on poursuit la logique de ce fort-da, on pourrait avancer, à titre d’hypothèse, que Cloverfield est une histoire au cours de laquelle l’objet perdu (das Ding) — Beth, en l’occurrence — se voit remplacé par un objet de substitution (die Sache), ici maléfique et incoercible : le monstre dont on ne parvient jamais à se défaire, ni au sol, ni sous terre, ni en l’air. Mais on pourrait aussi être tenté de voir dans ce film sinon un renversement du moins une altération de ce motif du fort-da, car tandis que ce dernier marque une évolution positive dans la psychologie de l’enfant en permettant à ce dernier de maîtriser la mort et le deuil, il se voit, dans ce film de monstre d’un genre nouveau, accordé un aspect régressif et mortifère. L’épouvante, c’est ce qu’on ne voit pas, et c’est pourquoi on voit peu la bête, et c’est pourquoi aussi, dans les tunnels obscurs du métro, l’on ne distingue qu’au tout dernier moment les monstrueux parasites ; on ne verra pas davantage ce qu’il advient de Marlena — tout au plus entendra-t-on un médecin s’écrier, affolé, « We got a bite! » avant de remarquer, furtivement, qu’une gerbe de sang éclabousse le rideau de plastique qui nous cache la scène tout en nous la révélant[8]. En somme, le véritable monstre, c’est le mystère. Et ce, d’autant que les personnages eux-mêmes[9] ne cessent de s’interroger et ne sont jamais bien sûr de ce qu’ils ont vu de leurs propres yeux. Jason l’affirme à ses amis : « we don’t know what we saw » ; Rob nie momentanément la réalité des dévastations (« It’s like a nightmare! It’s like a nightmare! ») ; quant à Beth, elle confesse son incompréhension (« I don’t know why this is happening ») et s’interroge — « What the hell is that? What is that? » (Rob ne peut, du reste, lui répondre que d’une phrase banale, laconique, qui ne dit rien de ce qui s’est passé et de ce qui passe encore : « it’s a terrible thing »).

Néanmoins, ces événements qui dépassent les personnages semblent, dans le même temps, curieusement normaux. Cloverfield, rappelons-le, est le produit de la collaboration de Matt Reeves, ancien étudiant du prestigieux département d’études cinématographiques de l’University of Southern California, et de J.J. Abrams qui avait collaboré au scénario d’Armageddon (1998) avant de réaliser Star Treck et Super 8 (2011). Et qui, après Cloverfield, réalisera Star Treck Into Darkness (2013) et Star Wars, Episode VII (2015). Une des idées géniales de ces deux nouveaux movie brats est d’avoir songé à un monstre qui, s’éloignant quelque peu des innombrables suites et remakes de Godzilla, n’est jamais vu que depuis le regard des personnages, lesquels nous servent, au demeurant, de support d’identification (alors que nous n’avons pu, nous, que deviner le monstre se dresser furtivement sur la façade du 401 Broadway, Hud l’a vu et bien vu : « I saw it! It’s alive! It’s huge! »). C’est ce processus que J.J. Abrams résume parfaitement en rapportant comment lui est venu à l’esprit « a monster the size of a skyscraper, but through the point of view of someone, relatively speaking, the size of a grain of sand? To see it not from God’s eye or a director’s or from an omnipotent point of view ».

De fait, si l’on compare Cloverfield avec les super-productions du cinéma-catastrophe, on s’aperçoit bien vite que ce film modifie profondément les conventions génériques auquel il est soumis, notamment à travers l’esthétique du found-footage et l’apparence de film amateur qui lui confère un aspect très différent des autres fictions hollywoodiennes mettant en scène des destructions massives. Au demeurant, une grande part de l’intérêt de ce film tient au contraste qu’il offre entre le prosaïsme de son style visuel et l’exceptionnalité de son sujet. Dans la plupart des disaster movies traditionnels, les images de la catastrophe, sublimes, offrent un spectacle impeccable, perçues qu’elles sont depuis une certaine distance permettant au spectateur de se sentir en sécurité. C’est en ce sens qu’il convient d’interpréter le recours habituel au point de vue omniscient ainsi qu’aux vues aériennes, voire spatiales, de l’événement — d’autant plus impressionnant, qu’il se trouve, en quelque sorte, embelli. Ces films, en outre, présentent, au-delà de la catastrophe, une image finale rassurante, comme si notre monde était certes fragile, mais aussi indestructible. À travers la représentation d’images grandioses, que le spectateur voit le plus souvent avec les yeux du Ciel, avec le regard de Dieu, ce sur quoi insistent ces films, c’est peut-être moins, finalement, la confusion, la désagrégation du monde ou la désorientation panique qu’engendre la catastrophe que la dimension esthétique, spectaculaire, de celle-ci. Que l’on songe, par exemple, à Deep Impact (1997), à The Day After Tomorrow (2004) ou, plus récemment, à San Andreas (2015). A contrario, Cloverfield réinscrit la catastrophe dans le chaos et la confusion, sacrifiant au passage la narration omnisciente, coutumière dans les blockbusters. Dans Cloverfield, point de scientifique détaillant sur un écran géant, auprès des grands de notre monde, son plan infaillible pour repousser la menace et en revenir à l’ordre : tout se passe comme s’il s’agissait d’inventer un disaster movie en prise directe sur la réalité. Ou, plus exactement, sur ce Réel sans loi dont parlait naguère Lacan[10]. Tandis que, dans les films-catastrophes traditionnels, une vue d’ensemble permettait au spectateur d’appréhender la totalité des événements, leur conférant ainsi une cohérence, dans Cloverfield, la réalité, devenue parcellaire, est circonscrite à la vision unique et particulière de quelques personnages. De ce fait, plutôt que d’une mise en scène de la lutte contre une menace, il n’est plus question que de survie, et seule subsiste l’impuissance des individus. Comme si, désormais en proie au doute, les États-Unis constataient leur vulnérabilité et leur impuissance partielle à agir sur l’Histoire. Ainsi, ce que figure Cloverfield, c’est l’expérience du dessaisissement du sujet, un double désir de représenter la stupéfaction et de reproduire, sur le plan de la fiction, la modalité de manifestation des attentats du onze septembre : la sidération devant le spectacle vécu comme en direct, en instantané. Une sidération qui n’est pas tout à fait la stupeur et qui est pétrie d’indicible, d’innommable, d’impensable. Car la catastrophe étant à la fois immense, terrifiante, horrifique, elle est aussi comme une irruption du sacré dans le quotidien profane, une irruption d’une altérité radicale qui nous fascine et nous repousse conjointement.

Ainsi, le film s’attache moins aux destructions commises par le monstre dans les rues de Manhattan qu’au périple des jeunes gens confrontés à une crise extrême. Et qui ne peuvent y échapper. « There’s nowhere to go » comprend in fine Rob — impossibilité tragique de fuir qui, renvoyant à la terreur de la claustration, était aussi celle dont jouait Oliver Stone dans World Trade Center : pour le groupe d’amis, les choix, impossibles, sont clairs : « die here, die in the tunnels, or die in the streets ». De ce point de vue, si Cloverfield renouvelle si profondément le genre du film-catastrophe, c’est qu’il montre le désastre dans une perspective intimiste, inventant ainsi un type inédit d’effroi cinématographique, mêlée d’admiration. Et d’autant plus intimiste que les images du présent, capturées tant bien que mal par Hud, sont régulièrement interrompues par celles que Rob a prises naguère de petits moments de bonheur avec Beth, ce qui renforce le drame qui se joue à New York et explique, en même temps, pourquoi Rob est prêt à tout pour sauver cette dernière.

C’est aussi cette double alternance du passé et du présent, du collectif et du privé qui motive le tempo très rapide du film, lequel correspond étroitement à cette « YouTube-ification of things » dont parle avec raison J.J. Abrams : « today, if you look online for two minutes, you can find video [...] of people hiding in a store or hiding under a car, and watching other people’s reactions […]. There’s no incident that isn’t captured now. So if a giant monster attacked the city, wouldn’t people be documenting it? » Bien entendu, un tel procédé prive le réalisateur de toute la syntaxe cinématographique classique : plans larges, contrechamps ou plans de coupe. Ce nonobstant, il présente cet intérêt de faire de tout spectateur un voyeur, ce qui est d’autant plus intéressant que, dans notre hypermodernité, est devenue centrale cette « jouissance scopique » dont Lacan montrait justement qu’elle tient au désir de lever le voile de l’horreur[11] : nous nous délectons non seulement de la destruction fictive de Manhattan, mais aussi du spectacle de la vie sentimentale de Rob et Beth. À cet égard, Cloverfield n’est pas seulement affaire de « regard(s) morbide(s) »[12] ; et la première partie du film ne sert pas simplement à asseoir la vraisemblance de la seconde : elle nous permet de pénétrer, comme par effraction, dans l’intimité et l’intériorité de personnages qui, dès lors, nous représentent dans la fiction, suscitant non seulement notre identification mais aussi notre sympathie, et ce, d’autant qu’ils sont au cœur de scènes extrêmement pathétiques où leur douleur provoque notre compassion, un certain attendrissement, voire une forme de tristesse (outre la fin, c’est le cas, par exemple, de la scène où, sur le quai du métro, Rob doit, par téléphone, annoncer brutalement la mort de son frère Jason [Mike Vogel] à sa mère). En outre, Hud, pris de court, manque plusieurs apparitions du monstre ; mais, précisément, ces moments accroissent la tension dramatique car c’est une donnée anthropologique bien connue que l’invisible est intrinsèquement effrayant (ce qui explique que nous redoutions surtout ce qui est hors-champ — grande leçon qui était déjà celle de Jaws et d’Alien et que viendra retravailler sans cesse la série des Jurassic Park [1993, 1997, 2001, 2015]).

L’originalité d’un film comme Cloverfield serait donc triple, tenant conjointement à son contenu (une nouvelle attaque de New York après le onze septembre), à sa facture (une esthétique directement empruntée à celle du Projet Blair Witch [1999]) et à ses spéculations théoriques (portant notamment sur le rôle de l’image dans notre société hypermédiatique). J.J. Abrams — que l’on connaît aussi par les séries Alias et Lost — reprend quantité de lieux communs des films de genres à succès : Alien (1979, 1986, 1992 & 1997) et Predator (1987, 1990 & 2010) pour l’apparence des parasites voraces et véloces qui grouillent sur la peau de la créature et dont celle-ci se débarrasse en se frottant contre un gratte-ciel qu’elle détruit comme par inadvertance ; films de zombies pour la représentation des multitudes de survivants marchant comme des morts-vivants dans les rues de Manhattan ou sur le Brooklyn Bridge aussi bien que pour la mise en scène de l’obsession de la morsure ; et, au-delà, King Kong (1933, 1976, 1986 & 2005) et War of the Worlds (2005) pour la figuration de la destruction de New York. Sans oublier Godzilla (1998) de Roland Emmerich ou The Day After Tomorrow ou Escape from New York (1981) de John Carpenter auquel rend d’ailleurs hommage la séquence au cours de laquelle la tête de « Lady Liberty » rebondit brutalement sur Duane Street.

Cependant, les modèles de J.J. Abrams ne sont pas exclusivement cinématographiques mais ils renvoient également à la sphère vidéoludique et aux nombreux jeux désormais inscrits dans les genres de la survival horror, du Doom-like ou du first person shooter : le point de vue et le monstre rappellent Half Life, les neiges de cendres et la sirène annonçant l’apocalypse évoquent Silent Hill, et Cloverfield, à l’instar de Resident Evil, constitue une expérience immersive qui, captivant le spectateur par un tempo soutenu, le prend au piège du surgissement de l’horreur.

Disaster movie, à la croisée d’autres genres, Cloverfield est aussi un film théorique qui, après le onze septembre, interroge notre rapport à toute réalité filmée[13]. D’où, justement, l’intérêt de la forme du cinéma-direct, de l’usage de la vidéo qui, intrinsèquement subjective, est faite d’images familières. De ce point de vue, Cloverfield est un film de l’intime soudain devenu blockbuster hollywoodien, avec, à l’arrière-plan, le traumatisme de l’effondrement du World Trade Center — rejoué, en l’occurrence, dans l’écroulement du Woolworth Building, que nous voyons à l’écran, et dans l’effondrement du Time Warner Center dont nous ne reconnaissons que les décombres dans le no man’s land qu’est devenu le nord de Midtown. Assurément, les scènes de panique, confuses, intenses et sidérantes, réactualisent l’affolement et le désarroi suscité par les attentats contre les twin towers ; et, à cet égard, un des enjeux de Cloverfield est justement de restituer une dimension mythique à l’Histoire et à la politique américaines dans une période d’ébranlement des certitudes doxastiques[14]. Dans l’époque confuse qui est la nôtre où les ennemis ne sont jamais vraiment visibles, ce film met en scène un monstre qui ne peut jamais être pris en photo ni appréhendé rationnellement, et, ce faisant, insiste sur l’absence de communication entre la population et les autorités chargées de la protéger contre une créature que personne ne pouvait imaginer. En d’autres termes : la confusion et la panique enraient toute action. Et pourtant, comme dans War of the Worlds, les personnages sont unanimement soumis au désir irrépressible de voir l’événement catastrophique, lequel « témoigne moins pour ce qu’il traduit que pour ce qu’il révèle, moins pour ce qu’il est que pour ce qu’il déclenche. Sa signification s’absorbe dans son retentissement ; il n’est qu’un écho, un miroir de la société, un trou »[15]. Dès la première scène catastrophique du film le centre de gravité de celui-ci se déplace au sens où c’est le second plan qui, en ocularisation interne, appelle dès lors le regard. Or, précisément, si le choix de la caméra portée permet de réduire au maximum le champ de vision et de conserver à l’événement toute sa puissance, il permet aussi de jouer avec les codes du genre même du disaster movie. Cette stratégie narrative révèle, en effet, une nouvelle logique de ce dernier dans lequel la relation du champ et du hors-champ est profondément bouleversée : ce qui prime n’est plus un quelconque effet de montage, mais un mouvement de regard qui balaie l’espace sans jamais vraiment l’interpréter, le construire, le rendre intelligible. De ce point de vue, le choix de New York ne doit, évidemment, rien au hasard, et en détruisant cette ville, symbolique des valeurs américaines, et en anéantissant l’emblématique Statue de la Liberté, Cloverfield donne bien à voir une image de l’Apocalypse. Une apocalypse au sens premier du terme (ἀπό/καλύπτω) : non seulement l’affirmation de la fin d’un univers, mais aussi un dévoilement, la révélation de ce qui était caché, de ce qui, jusques alors, gisait au fond du monde social : une apocalypse, cette fois, sans apocatastase, c’est-à-dire sans restauration finale. D’où la multiplication de ce que les critiques de l’imaginaire pointent comme des « métaphores axiomatiques »[16] : chute de tours, trous béants et gouffres, ponts rompus, avenues fissurées, façades perforées et ouvertes sur la nuit comme l’ombre l’est sur la ville, zones dévastées et soudain silencieuses.

Porter atteinte à New York, c’est porter atteinte non seulement à l’Amérique mais au monde tout entier. À cet égard, on serait tenté d’avancer l’hypothèse que Cloverfield est aux attaques du onze septembre ce que le Godzilla (1954) d’Ishirō Honda fut à la destruction de Nagasaki et d’Hiroshima — ce que Daniel North met en avant sans détour : « if Godzilla embodied (and revisited) fears of atomic destruction, then Cloverfield’s monster might be seen to give head, limbs and torso to a morass of nightmares about terrorist attack »[17].

Cependant, l’ensemble du film constitue aussi une réflexion sur notre aliénation aux images, sur l’obsession hypermoderne de tout filmer, quelles que soient les circonstances, y compris les plus obscènes[18]. Et une question, lancinante, poursuit les spectateurs : « comment ce que nous voyons est-il possible ? » — question qui nous saisit, notamment, lorsque le Brooklyn Bridge s’effondre en un unique plan qui rallume l’incompréhension et l’effroi que nous avions ressentis devant nos téléviseurs un mardi de septembre 2001. Cloverfield, au vrai, se fonde sur une étrange alliance : l’image vidéo, avec ses contingences, possède un puissant « effet de réalité »[19], voire de vérité ; mais, à rebours, les effets spéciaux, notamment dans la mise en scène du monstre, viennent régulièrement mettre à mal la crédibilité de ladite image, rappelant sans cesse au spectateur que c’est bien une fiction dont il parcourt les méandres :

 

It demonstrates immediacy through concealment of all traces of its manufacture, seeming to offer viewers more direct access to the events depicted, and using its amateur style to situate the spectator in a continuous relationship with the characters and situations. At the same time, it displays hypermediacy by bearing all the traces of its mediation openly— the image might be time-stamped, the lens dirty or blood-splattered, the tape glitched.[20]

 

De cette ambiguïté entre la prise de conscience que tout est factice et la stupeur qu’induit un tel réalisme naît l’impression, troublante, sinon carrément dérangeante, que tout est possible. Cette « familière étrangeté » — qui correspond à ce moment où l’intime surgit comme étranger, inconnu, sous la forme d’une altérité tellement absolue qu’elle en devient effrayante — provient précisément du fait que ce que nous voyons est censé n’être jamais que des rushes, ce qui ne laisse pas d’engendrer quantité de questions parmi lesquelles : qu’est-ce que ce film montre donc qui expliquerait que l’armée ressente le besoin de l’étudier et de le garder ? Pourquoi est-il donc ainsi classifié et non vendu à tous les réseaux d’informations du monde ? En encore, au-delà : qui regarde avec nous le film que nous voyons ? Des agents spéciaux du Fbi ? Des fonctionnaires du Pentagone ? Des scientifiques appartenant à tel ou tel complexe militaro-industriel ? Ou nous seuls qui serions les derniers survivants ? Parce qu’il appartient à la tradition du cinéma-direct — qui, dans le registre qui m’occupe ici, dérive notamment de Cannibal Holocaust (1980), le plus marquant des mondos, ce genre apparu en Italie dans les années 1960 grâce à l’invention de caméras de plus en plus légères —, le film de Matt Reeves et J.J. Abrams est un film où l’image se substitue au regard. « I’m just documenting, I’m not here » déclare significativement Hud. Ne proposant, à l’intérieur de la diégèse, aucun recul critique, il réduit même le statut de personnage à celui de simple rescapé en sursis (la seule à survivre, au bout du compte, sera Lily). Se présentant à la fois comme un « faux documentaire » et comme un « documentaire falsifié », il est probablement une des fictions qui correspond le plus étroitement aux préoccupations du monde contemporain[21]. Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’il soit sorti la même année que Diary of the Dead, Rec et Redacted — ces quatre films « tourn[ant] autour de l’idée qu’un événement exceptionnel, une situation impossible, anormale (pêle-mêle : la résurrection des morts, un viol et meurtre terriblement brutal et violent ; l’invasion d’un monstre terrifiant ; l’exposition à une maladie virale réveillant les morts), vient bouleverser le quotidien et en illustrer sa nature même »[22].

Dans tous ces films, le quotidien de tout un chacun — filmé, recueilli ou mise en ligne — devient un spectacle, au même titre que les événements majeurs de l’Histoire (et c’est aussi des interférences entre vie privée et sphère publique que Cloverfield cherche à rendre compte, d’où l’importance cruciale des fragments de l’intimité de Rob et de Beth, enchâssées dans les images de la quête et de la fuite du petit groupe[23]). Iconophile, tout comme l’est la mort elle-même[24], l’hypermodernité aime à faire voir et revoir sans cesse cette mort — il ne s’agit plus, cependant, comme dans les vieux artes morendi d’apprivoiser le trépas, mais de se réjouir de son spectacle. À l’instar des romans de Don DeLillo, le film de Romero dénonce la consommation hypermoderne d’images et, plus encore, l’amalgame d’images officielles et de films personnels délivrant des messages contradictoires[25]. Et pourtant, Reeves et Abrams ont eux-mêmes joué de tous les moyens de cette nouvelle communication de masse pour lancer leur film.

En effet, la sortie de ce dernier a été précédée, dès juillet 2007, d’annonces énigmatiques qui, postées sur le web, ont agité la communauté des geeks, provoquant ce qu’on désigne désormais par ce vilain nom de buzz et qui n’est jamais qu’un cas particulier de la mercatique virale qui se développe depuis le début du nouveau millénaire. La notoriété de ce film à venir fut d’abord acquise sur les réseaux sociaux et sur les sites de partage qui ont diffusé l’annonce étrange de ce qui ne s’intitulait pas encore Cloverfield, mais Cheese, Clover ou Slusho. La rumeur qui accompagnait ce film, dans lequel le public devinait plus ou moins confusément un film de monstre, se répandit dans le monde entier avec une rapidité inédite. Parallèlement, les studios de la Paramount travaillaient à une bande-annonce qui fut finalement diffusée dans les salles avant le Transformer de Michael Bay — bande-annonce qui ne dévoilait que la destruction de New York et le nom de J.J. Abrams. Le succès fut immédiat et foudroyant : le film rapporta plus de quarante millions de dollars de recettes en trois jours. En outre — et c’est là un autre fait assez nouveau —, les controverses sur l’internet ne se sont point éteintes avec la sortie du film proprement dite ; et quantité d’internautes ont continué à vouloir résoudre l’énigme que constitue Cloverfield et comprendre d’où vient le monstre — la plupart de ces hypothèses renvoyant, directement ou indirectement, aux théories de la conspiration que le film lui-même met en scène (d’une part, Hud lâche cette réflexion : « they’re, like, in on it. Maybe our government made this thing » ; de l’autre, un spectateur attentif remarque, au milieu du générique martial du début, le logo octogonal du projet Dharma [Department of Heuristics And Research on Material Applications] qui jouait un rôle important dans la série Lost : le monstre serait-il, d’une façon ou d’une autre, l’ignoble fruit de quelque expérience scientifique ?)[26]. D’où l’intérêt des préludes (pre-ludere) savamment orchestrés sur la toile. Ce sont d’ailleurs eux qui ont probablement permis que « spectators were not constructed as passive consumers awaiting the film’s release, but as participants in a search for the information necessary to pre-imagine it and then to unravel its mysteries »[27]. Quoi qu’il en soit, on prend la mesure de l’habileté de J.J. Abrams, qui mieux que quiconque dans le Hollywood d’aujourd’hui, sait susciter les attentes du public. Susciter ces attentes, certes, mais, aussi, les soutenir, ensuite, dans le film même en reprenant à son compte des motifs et des procédés utilisés ailleurs, en leur conférant une tournure et une portée nouvelles. Il s’agit pour lui de souscrire à des codes génériques précis tout en les variant suffisamment pour entretenir le suspens, le mystère[28]. C’est ainsi que Cloverfield suit un récit de quête stéréotypé : un héros, plus que hardi, affable et avenant, se met en route pour sauver une demoiselle en détresse et prisonnière d’une haute tour, sans se soucier du risque, mortel, d’affronter une bête redoutable. De ce point de vue, le film qui m’occupe ici reproduit des memes qui étaient déjà au cœur des récits mythologiques, des contes de fées et des romans de chevalerie. Toutefois, ces images et ces scénarios in nucleo valent en ce qu’ils sont doublement resémantisés : ce qui n’avait plus sens s’en voit conféré un nouveau (le roman courtois, par exemple), au moment même où des signes encore connus (ceux du disaster movie) se voient affectés de significations nouvelles.

La fin du film est, elle-même, équivoque, profondément troublante à deux titres, au moins. D’abord, dans la dernière scène, on retrouve Rob et Beth, à leurs jours heureux, sur la grande roue de Coney Island. La caméra est tournée vers la mer et le spectateur avisé remarque au loin, sur la droite de l’écran, à côté d’un ferry, une forme qui, tombant du ciel, plonge dans l’océan. Le véritable début serait donc là, à la fin d’une belle journée qui est comme l’envers anticipé de la nuit infernale où le monstre émergera des flots. À Rob qui, dans the Wonder Wheel, lui demande « We got like three seconds left. What do you want to say? What do you want to say? Last thing to the cam », Beth, répond, pleine encore d’innocence souriante : « Um... I had a good day »). Alors qu’ils sont tous deux réfugiés à Central Park, à quelques pas de Columbus Circle et du Mayflower Hotel, Rob demande à Beth de confier à la caméra un ultime message, un dernier témoignage, pour la postérité. Elle ne sait que répondre et l’avoue simplement dans un murmure : « I don’t know what to say. » Cette scène est particulièrement importante. D’abord, elle indique que l’image, pour Rob et Beth, comme pour Hud, est bel et bien chargée d’une fonction testimoniale, comme si leur incapacité à comprendre ce qui leur arrive, hic et nunc, cédait la place, in articulo mortis, à l’espoir d’une connaissance à venir, laquelle s’appuierait justement sur leur témoignage. Ensuite, parce qu’elle est celle des derniers adieux, bouleversants comme l’étaient tous ces appels et messages pager des personnes bloquées dans les tours jumelles — derniers mots désespérés de victimes effrayées et impuissantes, presque déjà disparues mais si proches encore qu’on les pouvait voir s’agiter aux fenêtres des deux gratte-ciel. Enfin, on apprend que les deux amants, après leur première nuit d’amour, étaient à Coney Island le 27 avril. Le désastre intervient en la courte nuit du 22 au 23 mai. Moins d’un mois sépare donc les deux événements : la naissance de l’amour entre deux amis d’enfance et la mort de ces derniers. Et voilà une autre pensée insupportable : qu’il y ait si peu de temps entre le bonheur et le trépas, entre la joie et le désastre — ce désastre qui, au surplus, se déroule dans le cadre tellement enchanteur d’un New York printanier ; un New York « really safe and fun » pour reprendre les mots de Marlena. Au surplus, à la toute fin du fabuleux générique — Roar! de Michael Giacchino, jeu postmoderne sur la musique qu’avait composé Akira Ifukube pour Godzilla —, après que l’aviation américaine a bombardé Manhattan pour anéantir la créature et alors que Rob et Beth sont ensevelis sous les décombres de Greyshot Arch, on entend un grésillement ténu. Et une voix lointaine, terrifiée et inquiétante de murmurer : « help us, it’s still alive! »[29] Tout cela est-il vraiment fini ? Rien n’est moins sûr, mais ce qui est certain c’est qu’ainsi que l’annonçait Hud, il est bien des gens qui essaient de comprendre ce qui s’est passé — et nous en faisons partie, pris que nous sommes dans le tourbillon de l’Histoire. Tout comme Michelle (Mary Elizabeth Winstead) et Emmett (John Gallagher Jr.) essaieront, dans 10 Cloverfield Lane (2016), de comprendre, de savoir qui est à l’origine de l’attaque qui les contraint à demeurer ainsi reclus dans leur bunker : « the Russians, aliens, maybe the South Koreans ». « You mean North Koreans? — Is that the crazy one? Then yeah. »

 




[1]Jacques Derrida, « Auto-immunités, suicides réels et symboliques. Un dialogue avec Jacques Derrida » in Giovanna Borradori (éd.), Le « Concept » du 11 septembre. Dialogue à New York (octobre-décembre 2001) avec Giovanna Borradori, Paris, Galilée, 2004, p.133-196, p.139.

[2]Dori Laub, « Bearing Witness or the Vicissitudes of Listening » in Shoshana Felman & Dori Laub (éd.), Testimony: Crises of Witnessing in Literature, Psychoanalysis and History, Londres & New York, Routledge, 1992, p.57-69, p.68-69.

[3]J. Derrida, art. cit., p.149.

[4]Sur les différences de traitement de l’événement au cinéma et à la télévision, on se reportera à l’excellent ouvrage de John Ellis, Visible Fictions: Cinema, Television, Video, Londres & New York, Routledge, 1992 (la première et la deuxième parties, notamment, nous concernent au premier chef).

[5]Pour la conception du monstre, J.J. Abrams engagea Neville Page qui travaillait sur Avatar (2009) de James Cameron et qu’on retrouvera au générique de Star Treck (2009).

[6]Cette affiche renvoie bien sûr à celles d’Escape from New York et de The Day After Tomorrow. Elle évoque aussi une affiche de propagande de la première guerre mondiale, « That liberty shall not perish », ainsi que la célèbre scène finale du premier volet de Planet of the Apes où Taylor (Charlton Heston) découvre, à moitié enfouie par la grève, la tête de la statue de la Liberté séparée de son corps : « Oh my God... I’m back. I’m home. All the time, it was... We finally really did it (falls to his knees screaming). You maniacs! You blew it up! Oh, damn you! Goddamn you all to hell! (camera pans to reveal the half-destroyed Statue of Liberty sticking out of the sand) ». On peut même y voir un écho au trailer de A.I. Artificial Intelligence (2001) qui s’attardait sur la statue de la Liberté, engloutie dans l’Atlantique et dont seul le flambeau dépassait des eaux.

[7]Pour plus de détails, on se reportera à D. North, « Evidence of Things Not Quite Seen: Cloverfield’s Obstructed Spectacle » in Film & History. An Interdisciplinary Journal, Xl, n°1, Appleton, Lawrence University, printemps 2010, p.75-92, notamment p. 75 & 87.

[8]Ibid., p.81-82 : « The footage shows her being taken into a quarantine tent which, brightly lit from within, casts a strong silhouette as she appears to swell up and explode in a bloody mess. The terror of the situation is mirrored by the twitchy unease of the camera movement, giving the impression that it is a moment stumbled upon, rather than staged. As a result, it was difficult to know for certain what had happened ».

[9]Et nous avec eux.

[10]Jacques Lacan, Le Séminaire, livre XXIII. Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 137.

[11]C’est précisément le propre de nos sociétés scopiques : chacun veut faire de son prochain un acteur et un spectateur d’un spectacle obscène et féroce, à la mesure d’un Surmoi tout-puissant qui surveille tout et punit sans relâche.

[12]On se reportera à la revue Spectres du cinéma, n°1, automne 2008, p.15 sqq.

[13]Cf. Geoff King, « “Just Like a Movie”?: 9/11 and Hollywood Spectacle » in Geoff King (éd.), The Spectacle of the Real: From Hollywood to Reality Tv and Beyond, Bristol, Intellect Books, 2005, p.47-57.

[14]On pourra aussi se reporter à D. North, art.cit., p.90.

[15]Pierre Nora, « L’Événement monstre » in Communications, n°18, Paris, Seuil, 1972, p.168.

[16]Cf. Gilbert Durand, Les Structures anthropologique de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1992, [1969], p.123.

[17]D. North, art.cit., p.90.

[18]Jay David Bolter & Richard Grusin, Remediation: Understanding New Media, Cambridge, Mit Press, 2000.

[19]Jacques Aumont précise l’intérêt au cinéma de ce concept qu’il emprunte à Barthes : « L’impression de réalité se fonde aussi sur la cohérence de l’univers diégétique construit par la fiction. Fortement sous-tendu par le système de vraisemblable, organisé de sorte que chaque élément de la fiction semble répondre à une nécessité organique et apparaisse obligatoire au regard d’une réalité supposée ». Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marié & Marc Vernet, Esthétique du film, Paris, Armand Colin, 2004, p.107.

[20]D. North, art.cit., p.88.

[21]« A mock documentary ». Ibid., p.89 : « As it proffers this meta-narrative of authenticity, Cloverfield works not only as a fake documentary but also as a “mock” documentary. The events it depicts did not really happen, but it promises to portray them as if they had, in return for viewers’ agreement to accept its authority as a chronicle of “the real” ». Voir aussi Jane Roscoe & Hight Craig, Faking It: Mock-documentary and the Subversion of Factuality, Manchester, Manchester Up, 2001.

[22]Simon Pellegry, « Diary of the Dead, Redacted, Rec, Cloverfield : terrain(s) battu(s). Normal et exceptionnel au cinéma » dans le dossier thématique « Regard(s) morbide(s) » in Spectres du cinéma, n°2, La Madeleine, Lettmotif, hiver 2008, p.16.

[23]S’apercevant soudain que Hud filme avec son caméscope, Rob l’interroge « Did you change the tape? Because I had a tape in there... something important ». Ce à quoi Hud répond, laconique : « I didn’t, it was already on when I got it ». Nous savons, nous, ce qu’il y avait de si important sur cette cassette : le souvenir merveilleux de Beth, au réveil d’une nuit d’amour, le rappel d’une belle journée au bord de l’Atlantique. C’est que Cloverfield est aussi un film sur l’évanescence des images qui, prises dans un flot ininterrompu, sont remplacées par d’autres, elles aussi vouées à disparaître ou à se trouver manipulées.

[24]Cf. Philippe Ariès, Images de l’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1983. Voir, aussi, Allan Kellehear, A Social History of Dying, Melbourne & New York, Cambridge Up, 2007, p.192 sqq.

[25]Il est significatif qu’au même moment, dans Redacted, Brian de Palma mette en scène la guerre en Irak afin d’interroger le rôle des médias et la véracité des informations qu’ils diffusent. Et afin de souligner aussi le danger que représentent leurs déformations ou leurs interprétations tendancieuses.

[26]Mais, après tout, la croyance en l’existence d’un complot revient, dans une certaine mesure, à refuser le choc, la stupeur de la catastrophe en découvrant, par la quête de liens occultes, un sens qui y serait celé.

[27]D. North, art.cit., p.77.

[28]Voir aussi, ibid., p.88 : « Abrams’ wish for a return to an aesthetic of mystery finds its visual equivalent in these instances of partial vision, delivering obscurity where the genre dictates that there should be spectacular clarity. Any such play with genre conventions inevitably results in commentary upon them, an intertextual dialogue of homages and innovations that adds new inflections to what constitutes [...] a “horror film” ».

[29]Cloverfield peut aussi être interprété comme une reprise ou une poursuite des comics de monstres des sixties. Un seul exemple : Tales to Astonish, en mai 1960, mettait en scène un monstre très comparable, Droom, et l’on pouvait voir, dans New York, des personnages apeurés qui s’exclamaient : « Help! Save us! He’s alive! » ; « even missiles can’t stop Droom. There’s no place to hide ». Voir Roy Thomas, 75 Years of Marvel. From the Golden Age to the Silver Screen, Cologne, Taschen, 2014, p.130.