The Cabin in the Woods (2). De l'horreur cosmique au gothico-postmodernisme

The Cabin in the Woods (2). De l'horreur cosmique au gothico-postmodernisme

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 04/05/2012

 

«Evil Dead Meets Truman Show», disait, lors d’une conférence de presse, l’acteur principal pour présenter The Cabin in the Woods. À quoi il faudrait ajouter «Meets Chtulhu» pour rendre compte (spoiler alert!) du troisième tournant de ce jeu métahorrifique. Car la mise à mort des jeunes est en fait, littéralement, un sacrifice humain destiné aux Grands Anciens. Nous retrouvons là, bien entendu, l’horreur cosmique du Maître de la modernité gothique américaine, H. P. Lovecraft, avec sa crainte paranoïde du retour du refoulé à l’échelle de malveillantes divinités cosmogoniques, figure ultime du «ganz Andere» théorisé par Rudolf Otto.

La fable slasher, comprise comme véritable mythe au sens structurel, est ici clairement associée (et c’est le deuxième tournant métahorrifique du film) à la logique girardienne du sacrifice. Le sang des jeunes victimes est en effet versé par les technocrates, au moyen d’un dispositif secret qui transforme la cabine en un espace littéralement piranésien, dans une stèle souterraine aux inscriptions énigmatiques. Cette offrande est accompagnée d’une prière qui contraste brutalement avec les dialogues prosaïques précédents. L’espace faussement familier (de par son effet citationnel) de la cabine hantée se trouve littéralement «déterritorialisé», ouvrant sur un labyrinthe cosmique bien plus inquiétant dans la pure tradition du chronotope lovecraftien1. De fait nous nous retrouvons là dans l’espace truqué d’une nouvelle telle que "The Dreams in the Witch House" (1932), directement inspirée par une conférence du physicien, mathématicien et astronome Willem de Sitter, «The Size of the Universe», qui portait sur le tournant einsteinien et la géométrie non-euclidienne2.

Par cette irruption du sacrifice aux cruelles divinités toujours menaçantes, le film rejoint, étrangement, une autre fable à succès contemporaine déjà étudiée dans cette revue, la dystopie du darwinisme social poussé à l’extrême par Hunger Games. Comme dans cette œuvre tout aussi symptomatique, la symbolique sacrificielle est rendue à sa nudité mythique première. L’on sait comment la vulgate anthropologique considère la catégorie du sacrifice comme un des fondements de la société, s’emparant de la violence primordiale pour la domestiquer et la sublimer dans des formes qui rendent possible la paix sociale. Comme le signale René Girard dans son analyse pionnière sur La Violence et le Sacré (Grasset, 1972) cette logique repose en dernière analyse sur le souvenir d’un meurtre fondateur, d’un sacrifice originel; les rites qui en rejouent symboliquement le déroulement ont pour fonction d’en réactiver l’effet pacificateur, transformant la victime en bouc expiatoire, qu’il s’agit de rendre responsable de sa propre persécution.

Les horreurs de la cabine incarnent ainsi une régression à la raison sacrificielle de l’ordre archaïque des Anciens, au double sens des sociétés humaines de l’Antiquité et des cruelles divinités du cosmicisme lovecraftien. Celles-ci, à l’instar des œuvres du Maître de Providence, constituent une Grande Menace permanente (structure qui articule profondément l’imaginaire états-unien depuis les Pères Fondateurs jusqu’au bushisme) qui risque d’anéantir le monde des humains si le «pacte sacrificiel» tenu jadis avec ceux-ci n’est pas respecté. Cette transformation paranoïaque des divinités sacrificielles précolombiennes et des cycles de destruction qu’elles animent fut originellement formulée, comme on sait, à l’orée du krach boursier de 1929; les Anciens seraient alors, pour certains chtulhulogues, l’incarnation de ces forces obscures du capital déchaîné par lequel «tout ce qui est solide se dissout dans l’air»3. Cette idée, vite devenue un topos de la critique, se combine avec l’analyse des autres discours sociaux qui marquent la crise du paradigme épistémologique dont témoignent les mythes de Chtulhu4.

Or les voici réactivés, une autre crise financière plus tard, dans le contexte du nouveau millénarisme remis à l’honneur en cette année de grâce 2012 (et si marqué, par ailleurs, par le mythe maya-lovecraftien).

La logique sacrificielle, présente dès le générique, relie ainsi de façon novatrice l’esthétique du slasher  (véritable hécatombe de la jeunesse) à la mythologie lovecraftienne des Anciens Dieux selon les principes de «l’art cosmique» dégagés par le Maître5. Mais elle est aussi, comme dans Hunger Games, reflet paranoïaque de la logique de la société du spectacle, voire du néolibéralisme féroce, au moment même où René Girard constate le retour du mécanisme sacrificiel, véritable cataclysme symbolique. «Il est difficile pour moi de ne pas me représenter l’évolution actuelle comme une régression, comme un retour inquiétant à ce qui semblait à jamais transcendé» écrit-il à propos de l’offensive néolibérale dans Quand ces choses commenceront (1994:101). Et il se pourrait bien que, comme ces Jeux de la Faim auxquels sont soumis les districts paupérisés et ghettoïques, les sacrifices aux Anciens Dieux toujours assoiffés de sang soient, sous les dehors de la topique science-fictionnelle, l’expression d’une extension bien réelle des catégories sacrificielles aux sphères mêmes de l’économie et de la politique qui nous régissent, comme le dénonçaient, en disciples hétérodoxes de René Girard, P. Dumouchel et J. P. Dupuy dans L’enfer des choses (Seuil, 1979). Et la main colossale qui écrase la cabine dans le dernier plan, avant de s’en prendre à la planète entière, ne serait-elle par hasard la main invisible du rêve néolibéral en proie au plus violent «furor» de sa propre hybris?

«Pourquoi sommes-nous punis?», demande Dana à la mystérieuse Directrice qui leur est enfin apparue sous les traits ironiques de Sigourney Weaver, la Final Girl archétypale de la saga Alien, devenue ici la collaboratrice des créatures inhumaines. «Parce que vous êtes jeunes», répond-elle, faisant allusion à la loi implicite du slasher, mise à mort ritualisée de la jeunesse pour le plus grand plaisir des jeunes eux-mêmes (jeu de miroirs où les teenagers aiment à se voir sacrifiés par des entités dysfonctionnelles de l’institution familiale) et des moins jeunes qui les haïssent secrètement, sous le culte qu’ils vouent à leur beauté et leur insouciance. Mais c’est aussi une des lois de la logique de la dépense sacrificielle, part maudite qui doit consumer les spécimens les plus aptes pour signer sa démesure. Or, pour toute une génération baptisée comme celle des «baby loosers», d’être sacrifiée par un emblème du sex-appeal «boomer» ne peut qu’avoir des résonances bio-sociologiques en lien avec la rupture du pacte intergénérationnel en cours.

D’où le tournant inattendu de la fin dysphorique: le couple anti-édénique s’oppose au récit de la Final Girl virginale (il ne reste par ailleurs, comme dans Scream, plus de vierges dans l’ère du slasher  post-reaganien) ainsi qu’à celui du sacrifice nécessaire des boucs émissaires pour le plus grand bien de la communauté (là encore on retrouve un écho étonnant de Hunger Games avec son pacte suicidaire final, clair effet d’un Zeitgeist empreint de malaise juvénile). Tournant leurs armes contre leur Créateur, ici une Créatrice devenue Directrice d’entreprise (et de Studio multimédiatique), ils incarnent l’ethos d’une génération post-nihiliste qui, ironiquement, forme une «alliance objective» avec les ennemis de l’humanité et embrasse, comme dernier idéal, «l’anti-humanisme» radical de la cosmologie lovecraftienne. «C’est le moment que les choses changent», dit Marty en une ambivalente parodie du discours altermondialiste. «Il est temps de laisser d’autres espèces régner sur la terre», répond Dana, en une parodie tout aussi ambivalente du discours écologiste radical.

Le film finit donc par cette étrange Apocalypse, provoquée, comme dans les mythes archaïques, par la rupture du pacte sacrificiel avec les Anciens Dieux. S’ouvre ainsi le règne de «l’imaginaire réel» évoqué par Slavoj Žižek (2006: 195), image qui nous pousse à la lisière de l’irréprésentable, à travers l’image lovecraftienne du retour du «chaos pré-symbolique» (au sens lacanien). Symptomatiquement, Lovecraft lui-même avait imaginé (à son corps défendant) l’Apocalypse comme jouissance dans le retour des Grands Anciens:

The time would be easy to know, for then mankind would have become as the Great Old Ones; free and wild and beyond good and evil, with laws and morals thrown aside and all men shouting and killing and reveling in joy. Then the liberated Old Ones would teach them new ways to shout and kill and revel and enjoy themselves, and all the earth would flame with a holocaust of ecstasy and freedom. (Lovecraft, 1999: 155)

C’est là la dernière ironie méta-référentielle (et le dernier feu d’artifice) de ce film entièrement méta-horrifique qui s’inscrit autant dans le sillage des films d’horreur réflexive (du Wes Craven’s New Nightmare (1994) à la saga Scream (1996-2011) et de In the Mouth of Madness (1994) à Zombieland (2011)) que dans le «tournant métanarratif» du cinéma néobaroque marqué par des œuvres telles que Speaking parts (1989, A. Egoyan), Truman Show (P. Weir, 1998), Storytelling (T. Solondz, 2001), Adaptation (S. Jonze, C. Kaufman, 2002); Lost in La Mancha (K. Fulton, L. Pepe, 2002), Tristam Shandy (M. Winterbottom, 2005), Tale of cinema (H. Snag-soo, 2005), The Fall (Tasem Singh, 2006) ou Synecdoche, New York (C. Kaufman, 2008).

De fait The Cabin marque un nouveau palier dans la diffusion pop de certains tropes du «postmodernisme Gothique» étudié par Maria Belville (2009) à la croisée des deux stratégies, gothique et postmoderne:

Gothic-postmodernism as a pioneering contemporary literary effort, a self conscious genre that operates both to broach our desires for terror and to expunge the fears of our postmodern ‘culture of death’. While many critics propose that the Gothic has been exhausted, and that its significance is depleted by consumer society’s obsession with instantaneous horror, analyses of a number of terror based postmodernist texts in this book will suggest that the Gothic is still very much animated in Gothic-postmodernism (…) as the main point of cross fertilization of the two genres, the deeper issue of the lingering emotion of terror as it relates to loss of reality and self, and to death will be the primary focus. (2009: 9-10)

The Cabin in the Woods s’inscrit parfaitement dans cette rencontre entre deux courants qui se sont entièrement «contaminés» (pour reprendre un trope clé du «gothico-postmodernisme») jusqu’à fusionner dans une commune «hantologie»:

The Gothic [is] a reflexive genre akin to postmodernism in that it offers readers the potential to interrogate our own unconscious fears, terrors and anxieties and new ways to represent them. And in its obsession with death it expunges those fears through the return of the repressed in a ghostly play on haunting and spectrality. Postmodernism can be assessed as being similarly dedicated to excess, anxiety, fear and death. According to Baudrillard, ours is a ‘culture of death’. This would suggest interesting implications for the functions of terror in literature, significantly, that terror functions to highlight the spectrality of postmodern existence. In most Gothic-postmodernist works this is emphasised in the pervasive themes of haunting and fluid identity. Through these themes, a definition of Gothic-postmodernism will be suggested, introducing it as a mode of literature which, via metafictional strategies, offers the reader a new kind of reading experience appropriate to the postmodern condition; a genre in which Gothic elements fuel postmodernist explorations of reality and hauntology, and in which the liminality of the characters grasps at something close to that unrepresentability that underpins the processes of subjectivity, inducing silent screams as readers’ illusions are shattered. (2009: 11)

C’est bien à la “spectralité de l’existence postmoderne» que renvoient les métahorreurs du film de Joss Whedon et Drew Goddard, déconstruction de la «construction sociale de la réalité» qui nous mène jusqu’à l’irreprésentable. D’où l’importance de la métafiction, véritable spectralisation du genre horrifique, mais aussi de l’épistémè qui le sous-tend:

More specifically, Gothic-postmodernism can be understood as a distinct genre by its own self-consciousness. Within the genre, multiple levels of self-irony tender a unique set of meta-discourses which run subversively against mainstream society and the literature that claims to represent it. Its meta-narratives operate to disrupt the dominating narrow accounts of history, religion, culture and identity by referring to inverted versions of the same, often implied by fantastic devices. (2009: 16)

À travers la triple déconstruction des codes horrifiques, de la société du spectacle et de la logique sacrificielle qui sous-tend la «doctrine de choc» néolibérale, les auteurs ont choisi de nous tendre un miroir inquiétant. Face à leurs alter egos manipulateurs et psycho-technocrates, nous autres spectateurs ne pouvons que nous reconnaître comme «leurs semblables, leurs frères», à la fois complices de leurs choix narratifs et de leur plaisir coupable à voir se dérouler l’horreur.

Cette position spectatorielle de distanciation critique contraste directement avec le pacte de lecture habituel au genre horrifique, d’où ce que pour beaucoup de «critiques» (au carré, ou professionnels) passe pour un échec du film, c’est-à-dire son désintérêt pour l’effet phobique puis cathartique. Mais là est, bien entendu, toute la question de l’œuvre. S’opère alors un véritable déplacement de l’horreur, qui ne sera pas cantonné au trope du groupe adolescent assiégé par les revenants. Mais là encore, l’école du soupçon nous a démontré, de la psychanalyse à l’analyse structurale, que les vraies horreurs du genre ne sont jamais celles que l’on croit (l’horreur du Réel lacanien, du corps de la Mère comme pure abjection, etc.)…

De là la satire de l’indifférence totale des deux technocrates à la souffrance, mais aussi au récit même qu’ils sont en train de construire de façon entièrement routinière, à l’image du Système (post)hollywoodien entièrement désincarnée. Comme l’écrit un des cyberexegètes: «They're just doing a job. There's no heart, no soul in anything they're doing. We'd like to pretend that network and studio execs love a good story as much as we do, but it's just not true. At the end of the day, they're making stories to sell advertising. If the stories don't appease the fans, they don't get paid. Their livelihoods are in jeopardy

Plus inquiétant est le fait que nous soyons, en tant que spectateurs, entièrement complices de leurs choix. Ainsi le box-office prouve que nous aimons les archétypes, et non les personnages complexes, d’où la petite leçon finale de la Directrice sur les 5 rôles incarnés par les adolescents (la Pute, la Vierge, l’Athlète, l’Écolier et le Fou), qui résument le schéma actantiel du slasher classique. Outre le fait de transformer ce dernier en rituel d’un théâtre de la cruauté destiné à des Dieux invisibles et assoiffés de sang (les actionnaires des studios post-hollywoodiens? le Ça pervers de la majorité silencieuse tapie devant les grands et petits écrans?), nous assistons au processus littéral de stéréotypation des personnages, dont l’intelligence est réduite et la libido accrue afin qu’ils se plient à ce que nous attendons d’eux: les voir engagés dans des rapports sexuels avant de se faire tuer. La violence invisible de cette stéréotypie nous est dès lors rendue visible, nous confrontant sans détour à notre propre désir scopique (pourquoi étions-nous venus voir un film intitulé La Cabine dans les Bois, déjà?).

Dans cette distanciation métaréférentielle se dit l’objectif critique du film selon les déclarations de Joss Whedon:

On another level it’s a serious critique of what we love and what we don’t about horror movies. I love being scared. I love that mixture of thrill, of horror, that objectification/identification thing of wanting definitely for the people to be alright but at the same time hoping they’ll go somewhere dark and face something awful. The things that I don’t like are kids acting like idiots, the devolution of the horror movie into Torture Porn and into a long series of sadistic comeuppances. Drew and I both felt that the pendulum had swung a little too far in that direction.

La critique s’étend à la redondance terminale des récits que nous consommons avidement, à la façon des créatures mêmes qu’ils mettent en scène. Nous l’avons vu, la galerie de l’horreur que Marty et Dana traversent dans leur catabase dantesque fonctionne ainsi comme spatialisation et littéralisation du répertoire structurel du film d’horreur, nous montrant non seulement l’envers du décor de la cabine (proche de cet autre fait de civilisation baroque que furent les Wunderkammer)mais du récit que nous sommes en train de voir se déconstruire sous nos yeux. Le film de zombies aurait pu être un film de tritons, ou de licornes, ou de Cénobites ou mille autres créatures encore. Mais il aurait suivi, invariablement, les mêmes règles. Et c’est là toute l’ambivalence du film, «a very loving hate letter to the horror genre» selon l’expression des scénaristes. Car la réflexion sur les invariants structurels du genre renvoie à la critique jaussienne de "l’art culinaire du simple divertissement", qui "se définit, selon l’esthétique de la réception, précisément par le fait qu’il n’existe aucun changement d’horizon, mais comble au contraire parfaitement l’attente suscitée par les orientations du goût régnant" (H. R. Jauss, 1978: 53).

La critique de cet «éternel retour du Même» dénoncé par Barthes est bien connue des études sur la culture populaire, formulée par ses plus perspicaces interprètes, tels qu’U. Eco: "sous l’apparence d’une machine à produire de l’information, le [récit populaire] est en fait une machine à produire de la redondance; feignant d’émouvoir le lecteur, il le conforte en réalité dans une sorte de paresse imaginative, et il offre de l’évasion en racontant non de l’inconnu, mais le déjà-connu" (Eco, 1983: 216-217). Mais elle se double ici d’une satire de la boucle terminale des remakes («orgie de redondance» au carré, pour reprendre une expression de Eco) qui est en train d’auto-phagociter l’iconosphère hollywoodienne à l’ère des franchises corporatives multimédiatiques et qui constitue le signe de cette «poétique de la répétition» qui semblait déjà pour Calabrese le seul réflexe possible dans le contexte de sursaturation de la semiosis dans laquelle nous sommes immergés:

Thus the neobaroque pretends to be dynamic but is actually static. Unlike a genuinely dynamic epoch (by which I mean "revolutionary"), neobaroque taste is represented as though in perennial suspension, stimulated but not inclined to upset categories of value. (Calabrese, 1992, p. 66)

Significativement la mosaïque tératologique du laboratoire secret de The Cabin renvoie directement au display des chaînes cablées, stade néobaroque du récit télévisuel (dont les deux scénaristes sont des maîtres indiscutés). Celui-ci est par ailleurs devenu lui-même essentiellement néobaroque (et leurs séries Buffy, Angel et Firefly en sont des exemples canoniques) selon l’étude de A. Ndalianis, perturbant toutes les limites fictionnelles auparavant établies:

the neo-baroque aesthetics that Calabrese assigned to pre-1990s television series has become more intense, revealing a dynamism that tests story boundaries to the extreme (...). Revealing a neo-baroque attitude to space, the co-existence of [Calabrese’s 5 propotypes ] creates greater slippage between previously distinct systems: episode stories continue into other episodes and across series, prototypes merge their rules with those of other prototypes, distinct television shows intersect their storylines with other television shows, and characters from one show traverse their series boundaries by travelling to other television series spaces, sometimes returning home or sometimes continuing on new journeys within an alternate narrative reality. All the while, the borders keep stretching as the series and serial continue to redefine their parameters. (2005: 98)

Le film peut alors se lire à la fois comme un commentaire sur le médium cinématographique et son perpétuel rival, qui est aussi devenu son revers inquiétant. La libération de toutes les créatures (à travers l’artifice parodique du bouton rouge exterminateur) et le massacre ultime de tous les agents du dispositif médico-disciplinaire de ce laboratoire carcéral (“the Costco of Death” selon un des cyber-exegetes) fonctionne dès lors comme la contamination terminale de tous ces récits hybrides qui tentent de dire les terreurs de la postmodernité. Sorte d’orgie sacrificielle de notre imaginaire phobique contemporain, préfiguration de l’autre Apocalypse qui marquera la fin du film.

Ironiquement le détour (ou plutôt l’errance labyrinthique) par la métafiction permet alors de confronter les peurs de notre inconscient culturel collectif. C’est là encore un point qui relie étroitement The Cabin à l’esthétique du gothico-postmodernisme:

By defining the genre, Gothic-postmodernism, it will assert the intrinsic links that tie the Gothic and the postmodern in literary and cultural terms and declare the Gothic as the clearest mode of expression in literature for voicing the terrors of postmodernity; a mode that is far from dead and in fact rejuvenated in the present context of increased global terrorism. (2009: 8)

Le film s’inscrit donc avec ce courant contre les facilités de son envers consumériste, le «candygothic» dénoncé par Fred Botting (1996: 134) où la composante gothique n’est plus qu’une ombre d’elle-même, limitée à “exposer le vide au coeur de la culture de consummation moderne” (Spooner 2006, 155). Comme l’écrit encore M. Belville: «Through the terror of Gothic-postmodernist texts, we can question our own unconscious fears, beliefs and prejudices, not only in terms of the desire that instigates them, but also in terms of the repercussions for society in general» (2009: 16).

Des zombies à la réalité manipulée, du Système aux Anciens Dieux apocalyptiques, The Cabin est dominé par cet effet de lecture (et de perception) typiquement néobaroque qu’est la «conspiranoïa» épistémè flottante où resurgit, comme dans la fiction lovecraftienne, une pensée magique sur les ruines des vieux paradigmes de la «raison» (mise à mal par une réelle déconstruction bien plus radicale que le simple relativisme épistémologique des discours herméneutiques).

Mais ce n’est pas un hasard si, comme les Jeux de la Faim qui lui sont contemporains, le film s’inscrit (des miroirs sémi-réfléchissants aux laboratoires souterrains dans un pur no man’s land de la légalité) à l’ombre du torture porn et la psychose conspiranoïaque de l’après-11-septembre dont les échos sociopolitiques renvoient ironiquement, comme le souligne Belville, à la formation première du Gothique:

The last fifty years has seen, particularly in art, a rejection of overarching concepts of truth and reality, a fascination with technological and media explosion, an increasingly isolating sense of self and an imposing increase in secularism, all of which has been transposed onto a concept of terror that is both pervasive and uncanny. The overriding atmosphere of terror that loomed over Europe after revolution in France can thus be seen to have echoes in our post-9/11, mass media-induced, terrorised culture. (2009: 23)

La cabine du film serait alors bien plus près de Guantanamo que des bois de la Wilderness gothique, lesquels, aussi cauchemardesques soient-ils, nous font désormais bien moins peur que deux technocrates sur le déclin devant leur machine à café avant d’aller surveiller leur «théâtre d’opérations». D’où le cri qui accompagne l’inscription du titre contre leurs visages qui incarnent, dans leur insignifiance même, la nouvelle banalité du mal.

 

Bibliographie

Maria Beville, Gothic-postmodernism: Voicing the Terrors of Postmodernity, Amsterdam, Rodopi, 2009

Omar Calabrese, Neo-BaroqueA Sign of the Times, Princeton University Press, 1992

Umberto Eco, De Superman au surhomme, Grasset, 1983

René Girard, Quand ces choses commenceront, Arléa, 1994

H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Gallimard, 1978

Angela Ndalianis, "Television and the Neo-Baroque", in The Contemporary Television Serial, ed.s Lucy Mazdon and Michael Hammond, University of Edinburgh, Edinburgh, 2005, pp.83-101.

H. P. Lovecraft, The Call of Cthulhu and Other Weird Stories. Ed. and Intro. S. T. Joshi (London: Penguin, 1999)

At the Mountains of Madness (St. Albans, Panther: 1968)

Léo Marx, The Machine in the Garden:: Technology and the Pastoral Ideal in America, New York: Oxford UP, 1964

Catherine Spooner, Contemporary Gothic, Londres: FOCI Imprint/Reaktion Books, 2006

Slavoj Žižek, “Schlagend, aber nicht Treffend!” Critical Inquiry 33 (Autumn 2006): 185-211

 

  • 1. Ainsi dans la description de l’ancienne ville de R’lyeh: «Without knowing what futurism is like, Johansen achieved something very close to it when he spoke of the city; for instead of describing any definite structure or building, he dwells only on broad impressions of vast angles and stone surfaces – surfaces too great to belong to any thing right or proper for this earth, and impious with horrible images and hieroglyphs. I mention this talk about angles because it suggests something Wilcox had told me of his awful dreams. He has said that the geometry of the dream-place he saw was abnormal, non-Euclidean, and loathsomely redolent of spheres and dimensions apart from ours” (Lovecraft, 1999: 165-6).
  • 2. La fusion du gothique traditionnel avec les mystères du nouvel espace post-einsteinien annonce directement l’esthétique du film: “Possibly Gilman ought not to have studied so hard. Non-Euclidean calculus and quantum physics are enough to stretch any brain; and when one mixes them with folklore and tries to trace a strange background of multi-dimensional reality behind the ghoulish hints of the Gothic tales and the wild whispers of the chimney-corner, one can hardly expect to be wholly free from mental tension” (Lovecraft, 1968: 113-4)
  • 3. C’est notamment l’analyse de G. Klein, qui évoque l’origine sociologique du trauma lovecraftien: «Ce problème est ici parfaitement clair: il résulte de la menace que fait peser sur un groupe social héritier des valeurs libérales du XIXe siècle la société du XXe siècle, la société des monopoles (..) Tel est le sens du pessimisme de Lovecraft pour qui les valeurs bourgeoises n’ont de valeur que de faux semblant, de masque, d’écran; faux semblant souhaitable dans la mesure où sur lui repose la raison, mais intolérable dès qu’il est reconnu comme un décor (...) c’est que, de fait encore, l’individu, l’invention de la société bourgeoise, l’honnête homme, est à la fois intellectuellement et physiquement désarmé et qu’il risque sa raison à découvrir qu’il n’est pas à la fois sa propre cause et son propre père et que sa conscience est une garniture idéologique plaquée sur une foule de déterminismes.» (in LovecraftCahier de l’Herne, Paris, Editions de l’Herne, 1984: 71)
  • 4.Lovecraft’s horror might well be inflected, or re-evaluated, today by anti-capitalists as straining to represent the “unrepresentable” horror of capitalism – particularly in its “chaotic” form. (…) In a sense we could say that unregulated capitalism and quantum physics both feed the destabilising effects that Lovecraft “diagnoses” in his fiction. It is not a matter of reducing one to the other, and offering either a social or a naturalistic “explanation” of this chaos. Neither, I would say, is it a matter of complete separation between them, but rather a matter of tracing a continuity or entanglement between them in terms of matching the impasses of the “social” and the impasses of “nature.” Chaos is the limit of both, and marks the point where neither can provide a stable prop to the other. In that sense it is the point of mutual collapse, where both “nature” and the “social” no longer function consistently” (B. Noys, The Lovecraft Event)
  • 5. «The time has come when the normal revolt against time, space and matter must assume a form not overtly incompatible with what is known of reality – when it must be gratified by images forming supplements rather than contradictions of the visible and mensurable universe. And what, if not a form of non-supernatural cosmic art, is to pacify this sense of revolt – as well as to gratify the cognate sense of curiosity?” (Lovecraft, 1999: xvi)