Lady Gaga ou le recyclage de Madonna

Madonna vs Lady Gaga

Lady Gaga ou le recyclage de Madonna

Soumis par Alice van der Klei le 13/03/2012
Catégories: Musique, Pop

 

«My mama told me when I was young, we are all born superstars.»1

Les internautes accusent Gaga de plagiat

 

Dans le dossier de Pop en stock au sujet du passage de Madonna au Super Bowl, Antonio Dominquez Leiva déclarait que Madonna s'était montrée en «véritable tyranne» de la pop. Depuis son entrée dans le monde de la pop, Lady Gaga est accusée de copier Madonna. À la sortie de Born This way en février 2011, les internautes se sont demandés si Lady Gaga copiait Madonna et sa chanson Express Yourself de 1989. Selon François-Luc Doyez dans le journal Libération, Lady Gaga ne serait qu’une histoire de plagiat supplémentaire dans le domaine de la pop et que Born This way reprenait même Libertine de la pop star française, Mylène Farmer.

Les mots-clics ou hashtags #Madonna et #ExpressYourself» ont connu une tendance sur Twitter tout autant que #BornThisWay dès la sortie de la chanson suite aux Grammys le 13 février 2011, et lors de la sortie du clip sur YouTube, le 28 février 2011. La mélodie de Born This Way serait par moments difficile à distinguer de Express Yourself de Madonna. Quand Gaga chante: «I’m on the right track baby, I was born this way!», les internautes ont entendu «Baby, ready or not / Express what you got!».

Interrogée dans le Tonight show de Jay Léno, Lady Gaga a répondu par un hommage à la reine de la pop: « There is really no one that is a more adoring and loving Madonna fan than me». Lady Gaga serait la plus grande admiratrice de la Material Girl. Lady Gaga se réclame de Madonna, mais aussi de Freddy Mercury (Radio Gaga) de Bruce Springsteen et de Def Leppard dans une entrevue faite au siège social de Google. Vous pourriez dire de Gaga qu’elle manque d’originalité, mais la musique et la culture pop sont cycliques et c’est en toute connaissance de cause que celle qui se désigne comme la Mother Monster recycle les classiques de la pop et remixe la culture pop dont elle est issue.

 

Le plagiat ou une façon de rendre hommage

La stratégie d’appropriation de Lady Gaga est manifeste. Son travail se situe dans la transgression, dans la pop culture, dans le scandaleux, où elle tire profit d’une posture postmoderne qui réclame son originalité dans la reprise. La filiation qu’elle avoue, qui est perçu comme un plagiat, renonce en quelque sorte à une prétention d’originalité et par le fait même, à une esthétique d’un sujet individualiste. À l’heure des réseaux sociaux, Gaga préconise le «Born this way», pour inclure dans son travail d’artiste toute une communauté de Little Monsters, qui eux aussi, reprennent les codes de la culture pop du remixage dans laquelle ils sont nés. Si Lady Gaga s’approprie Madonna, ce n’est pas du plagiat, mais bien une appropriation qui rend hommage à la culture pop. Je propose de penser cet hommage comme une pratique de recyclage culturel qui se situe dans une esthétique de la reprise et de la répétition.

Historiquement placé dans la mouvance de la postmodernité, la pratique du recyclage et de la reprise mise sur l'aspect citationnel de la culture populaire. (Moser: 1996) Le recyclage exprime un mode d’appropriation d’un matériau culturel presque irrévérencieux qui tire une œuvre de son contexte originel. Lorsque sont superposées des données visuelles ou sonores de sources différentes, on parle de mashup. Le mashup est un genre hybride puisqu'il combine dans un même morceau musical ou une même image, deux ou plusieurs œuvres. Le mashup trouve son origine dans la reprise et le recyclage de pièces musicales, à travers le sampling dans le hip-hop ou simplement la reprise de chansons ou extraits de musique par certains groupes de la pop musique. Pour Eric Méchoulan, Le recyclage suppose de concevoir le passé comme éminemment disponible et fragmentable: tout est prêt à être consommé, rejeté et récupéré. Le passé n’est plus une valeur, mais un matériau à transformer. Si on ne peut plus le recevoir ni l’inventer, il ne reste alors qu’à voler l’héritage et la création. (Méchoulan: 1996, 60-61)

Les médias de la communication et le Web accélèrent les processus de reprises en éliminant ou en réduisant les barrières géographiques, linguistiques, culturelles, et sociales. Le plagiat rebaptisé appropriation est une pratique culturelle intentionnelle, qui passe par le collage, le fragment et l’intertextualité. Si ce sont des pratiques qui minent l’autorité de l’auteur, ce sont aussi des manières de rendre hommage et de reconnaître une valeur d’originalité à ce qui a précédé l’œuvre issue du mashup. C’est la reprise qui réussi à percer dans l’institution esthétique capitaliste. Pour vendre un produit de la culture de masse, on mise sur des classiques, sur des valeurs sûres. 

Express Yourself ou I was born this way sont avant tout des textes, avec 20 ans d'écart, qui dénoncent la norme et cherchent à ébranler les structures traditionnelles de la culture mainstream que l’on veut dénoncer, sans en être expulsés. Ce sont des textes qui pronent la différence et la subversion ainsi que l'importance de croire en son individualité.

You deserve the best in life
So if the time isn't right then move on
Second best is never enough
You'll do much better baby on your own
Baby on your own
Express yourself
(Madonna, Express Yourself, mai 1989)

No matter gay, straight, or bi,
Lesbian, transgendered life
I'm on the right track baby
I was born to survive
No matter black, white or beige
Chola or orient made
I'm on the right track baby
I was born to be brave
(Lady Gaga, Born This Way, février 2011)

D’ailleurs, devant le succès de Born this way (numéro un des ventes iTunes aux Etats-Unis en février 2011), la maison de disques de Madonna a décidé de ressortir Express Yourself. Ce qui provoque la subversion fait vendre des albums. Lady Gaga se fait accepter non pas parce qu’elle fait du plagiat, ni parce qu’elle est innovatrice, mais parce qu’elle arrive à rendre hommage – à contourner le plagiat de la modernité - pour la reconnaissance d’une réappropriation esthétique. La reprise opère une re-esthétisation en réinsérant une œuvre (Express Yourself) et finalement, il n’y a rien de plus conventionnel que le discours de la subversion. Force est de constater que c’est la machine Gaga qui a su tirer profit du recyclage culturel et qui n’hésite pas à brouiller les cartes du vrai et du faux ou plutôt de la reprise.

 

Vous avez aimé cet article? Vous pouvez écouter la conférence d'Alice van der Klei intitulée «De Che Guevara à Lady Gaga» sur le site de Salon Double.
 

Bibliographie

AMERIKA Mark, Remixthebook, University of Minnesota Press, Minneapolis, 2011

HALBWACHS Maurice, Les Cadres sociaux de la mémoire, Éditions Albin Michel, Paris,1994

MÉCHOULAN Éric "L'impératif de la mémoire: production et recyclage culturels", Recyclages - Économies de l'appropriation culturelle, L'Univers des Discours, Éditions Balzac, Montréal, 1996, p. 55-64

MOSER Walter "Le recyclage culturel", Recyclages - Économies de l'appropriation culturelle,  L'Univers des Discours, Éditions Balzac, Montréal,1996, p. 23-53

NEVILLE Brian & Johanne VILLENEUVE, Éds. Waste Site Stories, the Recycling of Memory, Albany NY: State University of New York Press, 2002

 

  • 1. Lady Gaga, Born This Way, février 2011