L'architecture des bungalows de la Société Centrale d'Hypothèques et de Logement

Photo : Marie Parent

L'architecture des bungalows de la Société Centrale d'Hypothèques et de Logement

Soumis par Jonathan Lachance le 29/11/2012
Catégories: Esthétique

 

La SCHL a été instaurée le 1er janvier 1946 en tant qu'instance suprême en matière d'habitation au Canada. Elle est principalement connue pour la gestion des politiques hypothécaires canadiennes, mais entre 1946 et 1974, elle a aussi contribué à l’élaboration de nombreux programmes encourageant la production de logements en tous genres, au sein desquels la maison individuelle de banlieue occupe une place privilégiée. Ce programme de la SCHL est peu connu, mais pendant cette période, elle a conçu et diffusé une image particulière de la maison qu'elle souhaitait rendre accessible à tous les Canadiens: une maison fonctionnaliste matérialisant les valeurs de la classe moyenne salariée intégrée à la vie de banlieue nord-américaine. C'est cette image de la maison, développée par le gouvernement fédéral canadien au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, que je propose ici de résumer.

La SCHL a tout d'abord créé Monsieur Canada, père de famille nucléaire ordinaire et client fictif du premier concours d'architecture de maisons qu'elle lance en 1946. Tel que la SCHL le décrit, Monsieur Canada est un Canadien dans la mi-trentaine; avec sa femme, ils ont des enfants de 2 et 5 ans. Monsieur Canada n’a pas de préférence de style, mais il veut une maison pratique et commode, bien aérée et illuminée. Madame Canada, quant à elle, veut pouvoir faire ses travaux domestiques et surveiller les enfants simultanément, de manière à faciliter son travail et à disposer d’un maximum de temps libre. Les architectes canadiens participant au concours devaient donc concevoir une maison pour cette famille fictive dont le style de vie attrayant reflète l’abondance promise par le développement économique d’après-guerre. Pour la SCHL, la famille Canada est le modèle social auquel toutes les jeunes familles canadiennes peuvent aspirer. 

Du point de vue de l'implantation urbaine, la SCHL conçoit le développement des banlieues canadiennes suivant le modèle de Radburn au New Jersey, une banlieue pittoresque créée en 1929 où les maisons individuelles sont regroupées autour d'impasses de manière à ralentir le trafic automobile et à protéger les résidents. Le modèle de Radburn fait aussi la promotion d’une architecture conservatrice pour préserver les valeurs familiales étasuniennes traditionnelles, mais, contrairement au modèle américain, la maison de la SCHL n’est pas conservatrice. C’est une maison moderne régie par un ensemble de normes que toutes les futures familles Canada doivent respecter si elles souhaitent profiter des politiques hypothécaires avantageuses offertes par la Société pour l'accession à la propriété privée. Ces normes sont de l’ordre de la construction, du programme et de l’esthétique. Voyons les une à la fois.

Du point de vue de la construction, la maison de la SCHL innove peu: elle favorise un système à ossature de bois, en 2x4 et contreplaqué, qui reprend des traditions constructives employées depuis les années 1930, guidée en grande partie par les normes de fiabilité et de sécurité établies par l'industrie nord-américaine de la construction.

C'est surtout du point de vue de la planification intérieure que la maison de la SCHL est la plus novatrice par son programme articulé autour des principes de zonage moderne. Dans ses publications didactiques, la SCHL indique que les composantes élémentaires du plan de la maison sont au nombre de trois : la zone de séjour, la zone de travail et la zone de repos, et pour chacune de ces zones, elle présente une description du mobilier et des activités normales qui s’y déroulent, selon les membres de la famille appelés à les occuper: par exemple, les enfants possèdent leur chambre et la cour arrière; la fonction des enfants dans la maison est de jouer et d'étudier. La femme-ménagère possède la cuisine, la salle à dîner et la salle de lavage; dans la maison, elle prépare les repas, lave, fait les comptes, s’occupe du bébé et assure le service lorsqu’il y a des invités. L’homme-pourvoyeur, quant à lui, possède le vivoir et le garage. Dans la maison, il ne travaille pas; il lit, mange, bois, fume, procrée et dort.

Enfin, du point de vue esthétique, les catalogues de modèles de maison publiés par la SCHL ont de tout temps reflété les tendances les plus en vogue de chaque décennie. C'est cependant le style néo-vernaculaire, c’est-à-dire la maison sur plan carré ou rectangulaire avec toiture à 2 ou à 4 versants qui représente le mieux la maison de la SCHL. La Société n'a jamais fait explicitement la promotion de ce style, mais lorsqu'elle publie ses Principes pour le groupement de petites maisons en 1954, c'est à ce bungalow qu'elle pense. La SCHL préfère la maison à enveloppe traditionnelle équipée à l'intérieur de tous les gadgets de la vie moderne, plutôt qu'une architecture moderniste à proprement parler. 

La maison de la SCHL n'est donc pas moderne en apparence, mais elle est moderne d'un point de vue fonctionnel et idéologique. La Société présente la maison individuelle comme le type de logement normal pour élever une famille après la guerre, mais cette maison est clairement moulée autour d'un idéal social qui n'existe pas encore réellement au Canada: une classe moyenne intégrée à la vie de banlieue et à la société de consommation nord-américaine. C’est par le biais de l’architecture de sa maison et du style de vie qui l’accompagne, que la SCHL envisageait la création de cette nouvelle classe sociale. Quoiqu'on en dise aujourd'hui, l’introduction des familles canadiennes à l'American way of life par le moyen de standards architecturaux représentait à l'époque une modernisation, tant du point de vue social que du point de vue architectural.

Pour en savoir davantage, consulter Jonathan Lachance, «L’architecture des bungalows de la SCHL: 1946-1974», mémoire de maîtrise, Montréal, Département d'histoire de l'art, Université du Québec à Montréal, 2009, 283 f.