Les clowns maléfiques (1) : généalogie d´une légende urbaine

Les clowns maléfiques (1) : généalogie d´une légende urbaine

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 26/10/2016

 

Signes avant-coureurs de l´Halloween, carnavalisation de la mort et autres phobies sécrétées par nos sociétés obsidionales, les clowns maléfiques sont de retour. Dès août dernier un adolescent du comté de Greenville, en Caroline du Sud, affirmait avoir vu deux clowns, l’un avec une perruque rouge et l’autre avec une étoile noire dessinée sur le visage, qui lui auraient murmuré de le suivre dans les bois. D´autres résidents déclarèrent alors avoir surpris des clowns errants à l´orée de la forêt (où ils vivraient, près d'une cabane à côté d'un étang), affublés de nez clignotants et munis de lampes à lasers verts, voire des machettes. La police chercha en vain des traces de ces singulières créatures liminaires, à mi-chemin entre la wilderness primordiale et la civilisation.

Très vite la menace se répand, d´abord dans les États du Sud puis dans l´ensemble du pays, traversant les frontières jusqu´au Canada. Peu après l´épidémie gagne d´autres aires culturelles, jusqu´à devenir littéralement planétaire. Des hommes (jamais de femmes) habillés en costumes de clowns maléfiques sont vus errant autour d’écoles ou dans des universités, où des groupes d´étudiants s´organisent pour les chasser à la façon des anciens lynchages; d´autres sont filmés depuis des voitures par des automobilistes en panique ou dans les arrière-cours de maisons isolées par leurs occupants  assiégés. Plusieurs comptes Facebook créés sous des alias clownesques profèrent des menaces contre divers établissements scolaires, menant à leur fermeture pour cause de « clown-related activity », ce qui, on pouvait s´en douter, ne fait que raviver l´inquiétude des parents. Toutes sortes de rumeurs et de canulars se succèdent (tels ces clowns de Mexico supposément abattus lors de leurs virées meurtrières), accompagnées de quelques arrestations et de rares incidents tragiques (des adolescents arborant des masques de clown furent poignardés en Pennsylvanie et à Berlin, tandis qu´un ado masqué poignarda, lui, une victime en Suède ; trois assaillants costumés firent feu sur le propriétaire de la maison qu´ils braquaient au Texas). Un porte-parole de la Maison Blanche a du se prononcer évasivement sur la question et la célèbre mascotte Ronald McDonald s´est vue obligée de suspendre toutes ses activités « en raison du climat créé par les apparitions de clowns ».

Bien que l´échelle de sa transmigration virale aie de quoi surprendre, le phénomène n’est pas en soi nouveau. Les folkloristes ont tôt fait de signaler la récurrence de ces épidémies de coulrophobie depuis les premières rumeurs autour des « phantom clowns » en 1981. Les policiers de Boston avaient alors reçu des nombreux appels évoquant la menace de clowns qui tentaient d´attirer au moyen de sucreries des enfants dans leurs camionnettes. Quelques semaines plus tard, au Kansas, des enfants affirmèrent avoir été poursuivis par des clowns armés de machettes (arme qui venait d´être promue en emblème du slasher film l´année précédente grâce à Jason Voorhees, le psychopathe masqué qui hante les bois de Crystal Lake dans Friday 13th). Malgré des multiples enquêtes, on ne trouvera aucune trace de ces mystérieux assaillants[1].

Something quite unusual was happening in America in the spring of 1981”, écrivait le folkloriste et cryptozoologue Loren Coleman dans le magazine Fate de mars 1982. “What was it? Group hysteria? Terror in the cities because of the murdered children in Atlanta? Or something else? The appearance of phantom clowns in the space of one month in at least six major cities spanning over 1,000 miles of America constitutes a genuine mystery” (p. 55). Il s´agit là pour Coleman d´un cas classique de dissémination d´une légende urbaine, qu´il situe dans le sillage folklorique du joueur de flûte de Hamelin, la rapprochant d´autres rumeurs contemporaines sur des kidnappeurs d´enfants (dont les Gitans, prenant la relève des légendes antisémites millénaires autour des meurtres rituels[2]) et des assaillants mystérieux (dont les mystérieux Men In Black du folklore ufologique). « There were a small handful of accounts where the candy the clowns were handing out was supposed to be drugged, or rape was hinted at, or facial cuts such as made by ‘Smiley Gangs’ were supposedly inflicted, or where children said they would be chopped up and put in a deep-freeze and eaten for lunch”, écrivent Bennett et Smith (2007, 263). D´aucuns évoquaient plus spécifiquement l´utilisation des tendres viandes enfantines pour garnir des sandwiches tandis que le sang servirait de sauce aux framboises pour  les crèmes glacées. Ces rumeurs cannibales, à la fois héritières des contes populaires (folktype 327A dans la classification Aarne-Thompson-Uther, dont la version la plus célèbre reste Hansel et Gretel) et de traditions horrifiques telles que les penny dreadfuls autour de Sweeney Todd, se retrouveront dans les légendes urbaines ultérieures sur le vol d´organes.

La figure du clown surgissait comme une énième variation autour d´une structure connue, afin de l´actualiser en la défamiliarisant. “Perhaps these caped entities and phantom clowns have something to tell us”, écrivait Coleman. “Certainly the monk-like and checker-shirted characters mentioned so often in the occult and contactee literature have become almost too commonplace and familiar… the denizens of the netherworld apparently have had to dream up a new nightmare that would shock us[3]. Malgré cette nouveauté dont elles se masquent (au propre et au figuré), il faut, pour comprendre ces légendes urbaines, les inscrire dans le vaste contexte des « phantom attackers », comme l´explique Benjamin Radford : « Phantom clowns are best understood as part of a larger social phenomenon known as phantom attackers. These are mysterious figures, usually male and dressed in some distinctive way, and who are seen and reported as menacing ordinary citizens in public. Examples include Spring-Heeled Jack, the mysterious dark-cloaked figure reported threatening and scaring people (mostly women and children) in London from the 1830s through the 1870s (…).  Though the details and descriptions vary in these cases, they have much in common, including that they all had sincere eyewitnesses who reported their encounters to police and other public safety officials  In the end all these phantom attackers—like the phantom clowns—were thoroughly investigated and eventually determined not to have existed (although inevitably some mystery-mongering websites, books, and TV shows insist that they were real and possibly related to ghosts or Pennywise-like interdimensional entities)” (2016, p. 158).

Le choix (et le succès à la fois synchronique et diachronique) de cette nouvelle menace pouvait surprendre[4] mais n´était pas entièrement innocent. L´année précédant les premières rumeurs avait eu lieu le procès retentissant d´un serial killer promis à un statut légendaire, John Wayne Gacy, alias le « Clown tueur », du fait qu´il avait l'habitude de se déguiser en « Pogo le clown » lors d´événements charitables, des parades et de fêtes d´enfants. Les détails horrifiques de ses meurtres de 33 adolescents kidnappés et violés furent abondamment transcrits dans les journaux, au moment où émergeait le culte médiatique du serial killer. « The subject of Gacy is unavoidable in any discussion of the shadow the evil clown casts over the mass unconscious”, écrit Mark Dery dans un texte devenu culte sur la figure qui nous intéresse. “He will live on in pop nightmares as the Killer Clown, a sobriquet inspired by the Pogo the Clown persona he adopted when performing for hospitalized children and at community events. The image has been fixed in the collective imagination by tabloid newspapers, serial-killer trading cards and a lurid biography of the same name. One of the best-kown photos of Gacy captures him in his clown get-up” (Dery, 1999, p. 71). L´obsession compulsive des médias et leurs publics pour le recensement des détails les plus infimes (l´on saura, par exemple, que sa chanson préférée était le célèbre « Send in the clowns » -aurait-ce pu être autrement ?- ou qu´il s´amusait à pincer violemment les enfants qui essayaient de lui subtiliser des sucreries) ne fait que renforcer le lien entre le meurtrier et le fantasme culturel naissant. Ironiquement, Gacy s´appropriera de celui-ci à travers une modalité singulière d´outsider art, en vendant du fin fond de sa cellule ses peintures « naïves » à ses fans, mettant justement en scène des clowns mélancoliques, continuation des figurines qu´il affectionnait jadis collectionner.

La transformation du fait divers en nouvelle figure du monstre folklorique, selon un schéma diffusionniste tout classique, n´a toutefois pu s´opérer que par une mutation culturelle de la figure du clown dans son ensemble. Il est révélateur que le clown inquiétant et meurtrier soit pratiquement absent du grand écran jusqu´au tournant des seventies, âge, pour beaucoup d´analystes, de la perte de l´innocence de l´imaginaire culturel nord-américain, dans le sillage des Manson Murders, de l´enlisement au Vietnam et du scandale de Watergate (ironiquement, Nixon avait inauguré peu avant, en 1971, le National Clown Week). C´est en 1976 qu´un film canadien dont le titre même semble annoncer les épidémies futures, The clown murders, inscrit le personnage éponyme dans la vague croissante de films de psychopathes qui débouchera sur le genre emblématique des années 80, le slasher, bien qu´il reste essentiellement un mélodrame claustrophobique (notons que la couverture pour le Dvd américain incorporera ultérieurement l´élément folklorique du clown à la machette). Un groupe d´amis décide de kidnapper la femme d´un riche imprésario sur le point d´acheter une ferme pour la détruire et construire des condos. Pour ce faire ils organisent un party thématique d´Halloween où tout le monde est deguisé en clowns. Le plan réussit, le groupe fuit avec son ôtage dans la ferme, où les attend un mystérieux personnage, lui aussi habillé en clown, qui erre dans les environs armé d´une hache. Les tensions (notamment sexuelles) montent entre le groupe alors que chacun soupçonne son voisin d´être l´intrus menaçant et la fin du film s´inscrit dans les codes hérités du giallo que le slasher systématisera. Outre camper la figure du clown psychopathe (et son goût des armes blanches, partagé avec les tueurs mystérieux italiens), le film en fait, in fine, un emblème du retour du refoulé, la conséquence tragique des jeux auxquels se livrent les puissants de ce monde au mépris de la vie des pauvres gens qu´ils détruisent sans sourciller. La classe paysanne en déréliction est ainsi acculée à un rôle à la fois dérisoire (le choix du costume en atteste, double inversé de celui des riches) et vengeur, dans le sillage des films de rednecks horrifiques.

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Symptômatiquement le film qui allait définitivement consacrer le genre du slasher s´ouvre, on l´oublie trop souvent, par un clown tueur. La scène inagurale de Halloween (John Carpenter, 1978) constitue un véritable canon des codes à venir (le prologue qui constitue un flashback du trauma enfantin fondateur de la psychose ultérieure, la vision subjective de l´assassin-voyeur à travers les trous du masque, la lente irruption dans la maison où le jeune couple s´aprête à s´accoupler, etc.) ; or elle culmine, effectivement, avec le jeune Michael Myers qui est demasqué dans son habit de clown (on aperçoit très imparfaitement le masque classique de Weary Willie) alors qu´il tient encore, comme un somnambule, le long couteau ensanglanté qui a charcuté sa soeur après l´avoir vue folâtrer avec son petit copain. Le clown comme radicalisation de l´Œdipe se couvre ainsi de réminiscences hamlétiennes. L´impact de cette scène fut d´autant plus grand qu´elle était incluse dans le trailer original du film, vu par une quantité phénoménale de spectateurs. Il est révélateur que le masque de Myers adulte aie failli initialement être un masque de clown, pour souligner la continuité entre le sororicide initial et la psychose du tueur qui en découlait[5]. Dans tous les cas, le lien entre la fête d´Halloween et les clowns tueurs venait d´être pour la première fois postulé.

En 1980, l´année du procès Gacy, Terror on Tour cumule la figure du clown maniaque au couteau entre les dents avec la polémique autour de bands de heavy rock tels que Kiss ou Alice Cooper et leurs fans réputés dangereux. « The Clowns are a rock group on their way up the ladder of success. In their macabre makeup it is impossible to distinguish one from the other”, lit-on sur la pochette du VHS. “Their incredible stage performance center around sadistic, mutilating theatrics and eventually real murders begin. The police are called in and consider the band members prime suspects until they realize the killings are occurring during their performances. The search for the murderer begins ... and ends with the audience chanting, Kill, Kill, Kill!”. Le trope semble ici déjà bien établi, une année avant les premières rumeurs ; le band l´utilise en guise de totem apotropaïque dans des mises en scène grandguignolesques qui évoquent inévitablement les modèles cités, au rythme d´hymnes maniaques tels que "We'll cut you into little pieces and send you home in a box!". Par un processus mimétique qui ne va pas sans rappeller la célèbre « Kiss Army » inaugurée en 1975 par Bill Starkey et Jay Evans, les fans du band s´approprient eux aussi cette persona maléfique (un an auparavant le film culte The Warriors présentait par ailleurs dans son vaste catalogue de gangs de rue exotiques des mimes inquiétants). Inévitablement, un véritable psycho s´infiltre dans le cortège de fans et commence le méthodique bodycount que le slasher (alors triomphant) impose. Le film joue, tout aussi inévitablement, sur la confusion entre le réel et la fiction ("These guys sure know how to murder a girl onstage, I wonder if any of them are tired of make believe?", médite un des détectives sur l´enquête), mettant en abyme les processus de contagion mimétique qui, bien au-delà des suppositions de Gabriel Tarde, allaient caractériser les rumeurs coulrophobes. In fine, la figure du clown psychopathe s´érige en ange exterminateur d´une société en déreliction, mettant à la fois à nu les présupposés puritains du slasher ("I had to kill them - they had no moral values at all!") et leur caractère ultimement dérisoire.

 

On voit donc comment, de Gacy au slasher, la figure du clown en était venue à signaler une menace horrifique dans les courtes années qui précedèrent les premières circulations des rumeurs qui nous occupent. Parachevant ce tournant culturel, Stephen King cristallise la tératologie clownesque dans son roman IT (1986). Dès l´ouverture, le thème de l´horreur informe qui prend sa source dans les tréfonds de la psyché enfantine (parfait réceptacle des phobies culturelles ambiantes) est annoncé au detour d´une anecdote apparemment anodine :

He did not even like opening the door to flick on the light because he always had the idea—this was so exquisitely stupid he didn’t dare tell anyone—that while he was feeling for the light switch, some horrible clawed paw would settle lightly over his wrist . . . and then jerk him down into the darkness that smelled of dirt and wet and dim rotted vegetables. // Stupid! There were no things with claws, all hairy and full of killing spite. Every now and then someone went crazy and killed a lot of people—sometimes Chet Huntley told about such things on the evening news—and of course there were Commies, but there was no weirdo monster living down in their cellar. Still, this idea lingered. In those interminable moments while he was groping for the switch with his right hand (his left arm curled around the doorjamb in a deathgrip), that cellar smell seemed to intensify until it filled the world. Smells of dirt and wet and long-gone vegetables would merge into one unmistakable ineluctable smell, the smell of the monster, the apotheosis of all monsters. It was the smell of something for which he had no name: the smell of It, crouched and lurking and ready to spring. A creature which would eat anything but which was especially hungry for boymeat” (2016, pp. 6-7).

Cette créature prédatrice et informe qui habite dans les tréfonds de la psyché va aussitôt se matérialiser, selon une loi quasi-magique (on songe aux « tulpas » boudhistes, comme nous y invite l´auteur lui-même) qui régit le multivers kinguien. Et ce sera, justement, sous la forme d´un clown. La saturation de références pop, véritable trademark du style kingien (avant d´être revampé par Easton Ellis), joue d´abord sur l´effet de reconnaissance familière:

There was a clown in the stormdrain. The light in there was far from good, but it was good enough so that George Denbrough was sure of what he was seeing. It was a clown, like in the circus or on TV. In fact he looked like a cross between Bozo and Clarabell, who talked by honking his (or was it her?—George was never really sure of the gender) horn on Howdy Doody Saturday mornings—Buffalo Bob was just about the only one who could understand Clarabell, and that always cracked George up. The face of the clown in the stormdrain was white, there were funny tufts of red hair on either side of his bald head, and there was a big clown-smile painted over his mouth. If George had been inhabiting a later year, he would have surely thought of Ronald McDonald before Bozo or Clarabell. // The clown held a bunch of balloons, all colors, like gorgeous ripe fruit in one hand. (…)He was wearing a baggy silk suit with great big orange buttons. A bright tie, electric-blue, flopped down his front, and on his hands were big white gloves, like the kind Mickey Mouse and Donald Duck always wore” (2016, pp.13- 14).

Comme dans les contes, la créature procède à se nommer :  « I will introduce myself. I, Georgie, am Mr. Bob Gray, also known as Pennywise the Dancing Clown. Pennywise, meet George Denbrough. George, meet Pennywise. And now we know each other. I’m not a stranger to you, and you’re not a stranger to me. Kee-rect?” (id, ibid). Puis survient la défamiliarisation horrifique…

“The clown seized his arm.

And George saw the clown’s face change.

What he saw then was terrible enough to make his worst imaginings of the thing in the cellar look like sweet dreams; what he saw destroyed his sanity in one clawing stroke.

“They float,” the thing in the drain crooned in a clotted, chuckling voice. It held George’s arm in its thick and wormy grip, it pulled George toward that terrible darkness where the water rushed and roared and bellowed as it bore its cargo of storm debris toward the sea. (….) “They float,” it growled, “they float, Georgie, and when you’re down here with me, you’ll float, too—” (2016, p. 15).

Pennywise the Clown is among King´s most potent monsters precisely because It is, as King envisioned, "the apotheosis of all monsters"”, écrit M. R. Collings. ““Having begun as a representative of literary and cienmatic monsters, subsequently transformed into a creature central to legends and tales from several cultures, It ultimately transmutes into the archetypal "creature" of the twentieth-century. In a blend of H.P.Lovecraft and contemporary science fiction, King reveals that It _and thus all of the legendary and mythic entities It represents- is in fact an alien, stranded on this planet long before the rise of human civilization" (1997, p. 30). Cette plasticité constitutive du monstre comme synthèse vivante se traduit dans les stratégies du texte, et au-delà: “King thus once more alters subtly the generic expectations of the novel -the "reading protocols" readers must apply to the text. We have moved from horror/dark-fantasy to folklore and myth; we now move again into science fiction, with the assertion of alien presences that account not only for the narrative we have before us but for the entire panoply of myth, legend, and lore that has accumulated around the shape-shifters of all cultures” (id, p. 31).

Cette amalgame qui fusionne les traditions, les cauchemars et les horreurs les plus diverses, jusqu´à contaminer la totalité des strates culturels (selon la thèse, alors triomphante dans les milieux ufologiques, des « Anciens Astronautes »), évoque in fine les liens évidents entre la créature protéiforme et le Ça freudien (la traduction française rend la chose presque tautologique, tandis que « It » cache, en anglais, l´écho du « Id », popularisée dans la tératologie pop par le « monster from the Id » du classique Forbidden Planet, 1965). Toutefois, et c´est là ce qui nous intéresse, son incarnation privilégiée reste bel et bien celle d´un clown aux longues griffes afin d´attirer et saisir les enfants dont il se nourrit périodiquement[6]. “Pennywise is just a mask, one of many, but one specifically designed to lure in unsuspecting children. Of course, IT takes place in the late ´50s, when pop culture´s perception of clowns included Bozo and encouraged warm memories of popcorn at the circus. The children who live in Derry during this cyle of IT´s killing spree are not armed with the fear that modern readers have”, écrit Jenifer Paquette dans Respecting the Stand (2012, p. 162).

Curieusement, le lien entre cette figure et ses scènes emblématiques de prédation et les rumeurs des « phantom clowns » qui assolèrent la Nouvelle Angleterre (région kingienne par excellence) ont échappé à la critique et aux déclarations de l´auteur lui-même. Le fait que la créature opère en s´adaptant aux craintes les plus profondes de ses proies en fait d´ailleurs un parfait avatar de la rumeur et de l´inconscient culturel qui s´y manifeste. It reviendra par ailleurs, comme toute bonne légende urbaine, dans le multivers textuel de King, et ce, dès l´année suivant sa prétendue exécution. Ainsi le croise-t-on fugacement dans The Tommyknockers, au detour d´une phrase qui réactive le cauchemar chez les lecteurs les plus assidus: " Tommy had begun to hallucinate; as he drove up Wentworth Street, he thought he saw a clown grinning up at him from an open sewer manhole - a clown with shiny silver dollars for eyes and a clenched white glove filled with balloons" (1987, p.378).

Pennywise The Dancing Clown va ainsi concrétiser durablement le tournant horrifique du clown dans la culture populaire, renforcé par l´adaptation télévisuelle (1990) qui transporta la créature dans l´intimité de milliers de foyers. Ironiquement, une rumeur constante dans la critique vernaculaire insiste, au mépris de toute chronologie, à faire dériver les premières épidémies coulrophobes de l´iconique personnage campé avec brio par Tom Curry. Comble de l´ironie, Stephen King a du venir à la rescousse des clowns professionnels face au déferlement de coulrophobie dont on lui attribue la paternité (mais, comme le signale malicieusement un de ses fans : « This is exactly what Pennywise would say if he hijacked your account, Stephen »).

 

 

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            Bibliographie citée

 

M. R. Collings, Scaring Us to Death: The Impact of Stephen King on Popular Culture, San Bernardino, Calif: Borgo Press, 1997

Mark Dery, The Pyrotechnic Insanitarium: American Culture on the Brink, New York, Grove Press, 1999

Bennett, Gillian, et Paul Smith. Urban Legends: A Collection of International Tall Tales and Terrors. Westport, CT: Greenwood Press, 2007.

 

Jenifer Paquette, Respecting the Stand: A Critical Analysis of Stephen King's Apocalyptic Novel, Jefferson, N.C., McFarland, 2012

B. Radford, Bad Clowns, University of New Mexico Pres, 2016




[1]Throughout the bad clown panic, no hard evidence was ever found, and no children were actually abducted. This strongly suggests that some form of social delusion or mass hysteria was at play. If the clowns were real, why were they so invariably incompetent? Surely at least one of the bad clowns would have succeeded. Any real clown could easily abduct a child at a birthday party and spirit the victim off to a waiting van. Despite the scary rumors, it seemed that the phantom clowns were as harmless to children as Bigfoot or the Boogeyman—and for the same reason”. (B. Radford, Bad Clowns, 2016, p. 157)

[2]The Georgians, and the Victorians after them, were too sophisticated to fear that their children might be kidnapped by fairies. But as they had nomadic gypsy bands whose entire raison d’être seemed to involve stealing chickens or children, the loss was not felt. The ever-mysterious gypsies were another 'alien insider' group, of course, and quite as effective in 18th and 19th century rumour-legends as Jews had been for Chaucer’s contemporaries.” (Michael Goss,  "The Lessons of Folklore", Magonia 38, January 1991)

[4]Something quite unusual was happening in America in the spring of 1981. What was it? Group hysteria? Terror in the cities because of the murdered children in Atlanta? Or something else? The appearance of phantom clowns in the space of one month in at least six major cities spanning over 1,000 miles of America constitutes a genuine mystery” (L. Coleman, “Phantom Clowns”, Fate Magazine, mars 1982, 55).

 

[5] “It’s of course hard to imagine the Halloween franchise’s bad guy wearing any mask other than the one we know and love, which as you probably know by now was a modified William Shatner mask, painted completely white. But the Captain Kirk mask wasn’t John Carpenter’s first choice, and a much different version of Michael Myers almost terrorized the big screen. As for the other mask (seen above), it was based on real life hobo clown Emmett Kelly, who created the character Weary Willie. The idea behind the choice was that a young Myers had worn a clown mask while killing his sister, and so it only made sense that he’d wear a similar one as an adult”. (J. Squires, “Did You Know Michael Myers Was Almost a Killer Clown?!”)

[6] La description du premier cadavre relève à la fois de l´attaque animale et du cannibalisme : « Dave Gardener was the first to get there, and although he arrived only forty-five seconds after the first scream, George Denbrough was already dead. (…). The left side of George’s slicker was now bright red. Blood flowed into the stormdrain from the tattered hole where the left arm had been. A knob of bone, horribly bright, peeked through the torn cloth”.