Les ovnis nazis du Père Noël ou les étranges avatars du mythe polaire (4)

Les ovnis nazis du Père Noël ou les étranges avatars du mythe polaire (4)

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 23/04/2021

 

Pour les néonazis nostalgiques des années 1980, les ovnis nazis de l´Antarctique formaient un mythe compensatoire de la revanche germanique contre l´hégémonie des nouvelles superpuissances. Pour l´ufologie, ils représentaient une piste à intégrer dans son gigantesque puzzle. Et pour la culture populaire ils offraient un parfait assemblage entre les villains ultimes nazis, les technologies secrètes et les conspirations globales comme le comprit W. A. Harbinson qui en tira un best-seller, Genesis (1980), premier pavé d´une série intitulée « Projeckt Saucer ». Au fil d´une enquête menée par deux ufologues nous découvrons que tous les cas consignés relatifs aux soucoupes volantes, évoqués dans le détail (du mystère des Airships à la fin du XIXe siècle au Triangle des Bermudes en passant par les Foo Fighters ou l´explosion de Tunguska), renvoient aux ovnis construits par un aviateur américain mégalomane (Doctor Wilson) refugié dans la forteresse SS de l´Antarctique lors de la défaite du Reich. Lors de la confrontation finale au sein de la colonie, cet avatar des savants fous expose sa vision du monde, entre la cryptocraptie chère au complotisme rampant des seventies et la « société de contrôle » qu´allaient théoriser peu après Deleuze et Negri :

 « Le totalitarisme s'insinue dans le monde et étouffe toute résistance.  L'enrégimentation augmente.  Les gens sont des numéros au lieu de noms. Le monde est désormais dirigé par une poignée de personnes sélectionnées, et la répression s'étend.  La surveillance est généralisée.  Chaque citoyen est fiché.  Les faits saillants de chaque individu ont été transmis aux ordinateurs. La télévision les hypnotise.  La musique d'ambiance remplit leurs usines.  Les cartes de crédit, les cartes de travail et les passeports ont rendu la vie privée obsolète.  Toutes ces personnes sont des numéros.  Leur prétendue liberté n'est qu'une illusion.  Leurs politiques, leurs cultures, leurs religions n'ont aucune influence sur quoi que ce soit. Laissez-les manifester de temps en temps. Laissez-les critiquer et abuser.   Nourrissez-les de questions qui les garderont engagés pendant que le vrai travail continue.  Au final, ils seront passifs.  Ils n'auront pas vraiment le choix.  Leurs cartes de crédit, leurs cartes de travail et leurs passeports peuvent être retirés à tout moment.  Ces objets les font ou les défont.  Une poignée d'élus décide de la question.  La masse des hommes est guidée par divers canaux et ils ne le savent même pas.  C'est votre liberté, M. Stanford.  C'est votre précieuse démocratie.  Le monde est un jeu d'échecs, les pièces sont des biens, et le jeu n'est joué que par quelques privilégiés qui se cachent derrière des portes fermées ».

Contre la nostalgie affichée par les néonazis pour les soucoupes volantes, celles-ci deviennent ici le fer de lance d´une vaste conspiration totalitaire qui relève à la fois de l´imaginaire paranoïaque de l´infiltration (qu´elle soit extraterrestre ou communiste)[1], des super-vilains bondiens et des hantises de la contre-culture à l´égard du contrôle croisant des populations aux mains du complexe militaro-industriel :

« D'ici dix ans, tous les postes gouvernementaux importants seront gérés depuis cette colonie. Nous avons des gens partout, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, et ces gens ont des électrodes dans la tête et feront ce que nous leur dirons. Ils sont actuellement au Pentagone, à la CIA et au FBI, à la NASA et au complexe de Cheyenne Mountain, dans l'armée, la marine et l'armée de l'air, dans chaque projet top secret. C'est la même chose dans le monde entier. Nous avons des gens partout. Nous robotisons des personnes importantes chaque année, et chaque année c'est plus facile.  Ils ne savent pas qu'ils sont robotisés.  Ils pensent qu'ils prennent leurs propres décisions.  Mais chaque nouvelle loi de suppression, chaque nouveau système de surveillance, chaque action qui change le cours des événements mondiaux est dictée par nous. Nous sommes de plus en plus nombreux chaque mois.  Nous grimpons progressivement dans la pyramide.  Dans dix ans - ou peut-être moins - toutes les règles seront les nôtres. Ton monde prend fin, Stanford. Il ne sera bientôt plus ».

Une section finale incluant des notes et des sources bibliographiques vise à brouiller les frontières entre le réel et la fiction, témoignant du vaste travail de documentation de l´auteur qui culminera dans son livre documentaire Projeckt UFO : The Case for Man-Made Flying Saucers (1996) où il prétend apporter la preuve irréfutable que les soucoupes volantes sont fabriquées en Antarctique à l'aide de la technologie nazie et d'une colonie d'esclaves rescapés des camps de concentration. En fait, le mythe s´était déjà abondamment popularisé dans les années de réchauffement de la Guerre Froide.  Les trois volumes des Geheime Wunderwaffen (« Armes miracles secrètes ») de D. H. Haarmann (1983-5) fournissaient une expansion minutieusement détaillée de toutes les sources antérieures. Signe des temps, le « cover-up » institutionnel des Ovnis nazis ne s´explique plus seulement par la volonté d´occulter la résurgence du Reich mais aussi les énergies alternatives qui les alimentent. La crise du pétrole accompagne un tournant écologiste du discours néonazi : l´énergie « implosive » et gratuite tirée des champs magnétiques et gravitationnels de la Terre doit être occultée à tout prix par une conspiration (judaïque) des banquiers et des industries pétrolières[2].

Dans les années 90, les théories deviendront encore plus délirantes, emportées par les mutations de l´ufologie conspiranoïaque. En 1992, Jürgen-Ratthofer and Ralf Ettl reprennent la piste extraterrestre restée à l´état d´ébauche chez Zündel et Serrano pour en faire le centre de leur réécriture dans Das Vril-Projekt. Dès le titre l´on retrouve le mythe du « Vril », l´étrange source d´énergie inventée par Bulwer Lytton dans son roman de mondes perdus The Coming Race (1871) et reprise par les Théosophistes puis amplement diffusée par Pauwels et Bergier. Partant de la légende établie par ces derniers autour de la « Société Vril » berlinoise et des révélations médiumniques de Maria Orsic, les deux Autrichiens en font la source ultime des soucoupes nazies. Sumériens et Germains seraient issus d´une colonie d'êtres supérieurs envoyés d'Aldébaran sur Terre il y a 500 millions d'années. Représentant une sorte de « national-socialisme théocratique », ce peuple des étoiles est divisé entre la race principale des « hommes-dieux de la lumière » (Aldebarains Alpha), qui vit sur la planète Sumi-Er, et les races inférieures, issues d´anciennes colonisations ou de mutations provoquées par des guerres atomique et confinées sur la planète Sumi-An. Cette civilisation serait de tout temps engagé dans une grande bataille cosmique contre les empires de Capella et de Regulus, culturellement inférieurs mais supérieurs en nombre.

On trouve dans ces ancêtres extraterrestres des Allemands la simple adaptation science-fictionnelle des théories des ariosophes sur les anciens dieux « ario-héroïques ». Guidés par ces tuteurs semi-devins, les initiés inventent les premiers prototypes. Les auteurs fournissent ensuite une liste détaillée des diverses soucoupes inventées par le département de développement SS E-IV de la Société de Thulé, reprenant le fétichisme technologique des premières itérations du mythe. La série des « Haunebu » (I, II et III) côtoient les chasseurs Vril-1 et 2 ainsi que le vaisseau-mère spatial Andromède, en forme de cigare (qu´Adamski aurait aperçu en Californie en 1952). Un modèle supérieur, le « Vril-Odin », est lancé en signe de détresse en 1945 à travers un « canal transdimensionnel » qui lui permet d´atteindre le système solaire d´Aldébaran en 1967. Une énorme armée interstellaire est alors formée pour venir en aide au Reich qui devrait arriver entre 1992 et 2005 pour mettre enfin un terme à la Seconde Guerre Mondiale!

Cette cosmogonie néo-gnostique, profondément ancrée dans le nouveau paradigme des Anciens Extraterrestres (dont les origines remontent, via Ray Palmer, à Lovecraft et sa réinvention des mythes théosophes), est aussi diffusée dans deux vidéos qui circulent encore sur Youtube. Dans UFO- Das Dritte Reich schlägt zurück? (Ovnis- Le Troisième Reich contre-attaque?, 1988) des images de soucoupes volantes sont comparées avec les plans des soi-disant prototypes avant de raconter une mission désespérée de l´Axe sur Mars en quête de soutien extraterrestre qui ne trouve que des ruines (selon une iconographie remontant aux sources de l´imaginaire de la planète rouge). Cette variation mélancolique de la mission triomphale et millénariste du Projet Vril renvoie à un autre courant, victimiste, de la sensibilité néonazie. UFO— Geheimnisse des Dritten Reichs (Ovnis- Secrets du IIIe Reich, 1992) reprend plutôt l´histoire fantasmée de la société Vril avec ses divers jalons, mélangeant sans cesse images d´archive et pure fabrication selon les codes des pseudodocumentaires ufologiques et complotistes. Une hypothèse originale est avancée sur le sort des soucoupes nazies : elles auraient voyagé dans le temps à travers le « canal transdimensionnel » pour rejoindre l´ancienne Babylone où leurs pilotes sont accueillis comme des « dieux blancs ». Ce retournement chronologique du mythe des origines reprend les codes science-fictionnels des paradoxes temporels pour affirmer que les nazis sont, in fine, les descendants des… nazis!

Grâce à ces mutations extraterrestres du mythe, ce dernier entre définitivement dans le champ culturel ufologique. Par une logique d´amplification propre à toutes les mythographies, il est dès lors appelé à toutes les expansions et hybridations comme le montre l´ouvrage du complotiste Jan van Helsing Les sociétés secrètes et leur pouvoir au XXe siècle (1993). Il y reprend la légende de Maria Orsic qui aurait « capté des informations dans une écriture secrète des Templiers - une langue tout a fait inconnue pour elle avec des précisions techniques pour construire un engin volant. Ces messages télépathiques étaient transmis, d'après les écrits de la Société Vril, du système solaire d'Aldébaran situé dans la constellation du Taureau » (En ligne sur Internet Archive).

On y apprend que « deux planètes habitées constitueraient le royaume de SUMERAN [et] tourneraient autour du soleil [d´Aldéraban]. Les habitants de ce système solaire, seraient subdivisés en un peuple de maîtres, d'hommes-Dieu blancs (Aryens) et en différentes autres races humaines. Celles-ci se seraient développées à cause de changements climatiques sur les planètes isolées et seraient le résultat d'une dégénérescence de ces hommes-Dieu. Ces mutants auraient eu un développement spirituel inférieur aux hommes-Dieu. Plus les races se mélangeaient, plus leur développement spirituel se dégradait. Par conséquent, lorsque le soleil d'Aldébaran se mit à grandir, ils ne purent plus faire des voyages interplanétaires comme leurs ancêtres » (Ibid). Elles auraient alors « été évacuées dans des vaisseaux spatiaux et amenées sur d'autres planètes habitables », comme Mars (« dont les grandes villes pyramidales et le visage martien bien connu, photographiés en 1976 par la sonde Viking, témoignent du haut niveau de développement de ses habitants ») ou la Terre.

Comme on voit, il s´agit d´une expansion des motifs apparus l´année précédente dans le Projet Vril selon les tropes familiers du space opera (dont l´Allemagne s´avéra particulièrement friande avec la série hebdomadaire des Perry Rhodan, la plus longue sans conteste de l´histoire du genre –fêtant son 3000e épisode en 2019). Le motif des Anciens Extraterrestres est moins détaillé : « Les membres de la Société Vril pensaient que les Aldébariens atterrirent, plus tard, lorsque la Terre devint peu à peu habitable, en Mésopotamie et qu'ils formèrent la caste dominante des SUMERIENS. On appela ces Aldébariens "hommes-Dieu blancs" ». Selon le système d´intertextualité aléatoire qui régit ces ouvrages, on lit plus loin qu´ils furent aussi à l´origine des Hyperboréens sans qu´aucun lien logique ne soit établi entre ces deux mythes des origines : « On suppose [qu´ils] vinrent jadis du système solaire d'Aldébaran qui est l'astre principal dans la constellation du Taureau : ils mesuraient environ quatre mètres, avaient la peau blanche et étaient blonds aux yeux bleus. Ils ne connaissaient pas les guerres et ils étaient végétariens (Hitler aussi, d'ailleurs). D'après les prétendus textes de Thulé, les Hyperboréens étaient très en avance dans leur technologie et ils se seraient servis des "Vril-ya", engins volants que nous désignons aujourd'hui du nom d' OVNIs » (Ibid).  Hitler aurait eu « particulièrement à coeur de trouver les entrées du royaume souterrain d'Agartha et d'entrer en contact avec les descendants des "hommes-Dieu" aryens d'Aldébaran-Hyperborée », sans que cela semble prêter à confusion.

Toujours est- il que « les plans de construction et les renseignements techniques reçus par les télépathes - d'où qu'ils viennent - étaient si précis que naquit l'idée la plus fantastique jamais conçue par l'homme : la construction de la "machine vers l'au-delà" ! ». Le 2 janvier 1944, « Hitler, Himmler, Künkel et Schumann (tous deux de la Société Vril) se rencontrèrent pour parler de ce "PROJET VRIL". Ils voulaient se diriger à l'aide d'un gros astronef, le Vril 7, vers Aldébaran par un canal dimensionnel. D'après Ratthofer, le premier essai en vol dans un canal dimensionnel aurait eu lieu l'hiver 1944. L'appareil aurait évité de justesse un désastre : d'après les photos du Vril 7 prises après son retour, on aurait dit "qu'il avait voyagé pendant un siècle" » (Ibid)…

Après résumer les diverses soucoupes inventoriées par ses prédécesseurs, Van Helsing semble moins intéressé par leur sort ultérieur. S´il signale que le Vril-7 « s'envola vers l'Espagne où s'étaient réfugiées des personnalités importantes du Reich pour les emmener vers l'Amérique du Sud et vers le "NEUSCHWABENLAND" et les mettre en sécurité dans les bases secrètes que les Allemands avaient construites là-bas pendant la guerre », il « aurait décollé secrètement vers le Japon, mais nous n'en savons pas plus ». Pour les autres, « certains disent qu'une partie des engins avait été coulée dans le lac "Mondsee" en Haute-Autriche, d'autres pensent qu'ils auraient été emmenés en Amérique du Sud ou qu'ils y furent transportés en pièces détachées. Il est certain que même s'ils n'ont pas forcément atteint l'Amérique du Sud, on y fabriqua, à l'aide de plans de construction, de nouveaux appareils. On les fit voler, et une part importante de cette technologie fut utilisée en 1983 dans à cadre de l' "expérience Phoenix", projet précédé par l' "expérience Philadelphia" de 1943. (Il s'agit d'expériences de téléportation, de matérialisation et de voyages dans le temps de la US NAVY qui furent plus couronnées de succès qu'on ne l'aurait imaginé dansles rêves les plus téméraires. Il y aurait ici matière à un autre livre mais cela nous écarterait du sujet) » (Ibid). Rendus là, on se demande qu´est-ce qui pourrait encore nous y ramener.

S´il évoque sommairement la thèse de l´origine nazie des « objets volants lumineux » qui « en 1947, et jusque dans les années 50 surgirent au-dessus de l'Amérique du Nord en un nombre sans cesse croissant » c´est surtout pour recadrer l´argument complotiste des ufologues au profit de ses thèses[3]. Dans Opération Aldébaran : Contacts avec des hommes d´un autre système solaire (1997), Van Helsing intègre le mythe dans le cadre rhétorique des récits d´abductions par des « contactés » : un couple Bavarois se souvient par régression sous hypnose de leur enlèvement par une soucoupe où ils auraient vu des gigantesques fermes d´embryons destinés à l´élevage d´une nouvelle race qui assurera le futur de l´Humanité. Cette vision héritière des premiers pulps et de leur appropriation soucoupiste est à son tour projeté dans le passé selon le schéma convenu des Anciens Extraterrestres :  arrivés sur Terre il y a 735.000 ans, les colonisateurs d´Aldébaran auraient élevé des esclaves comme main d´œuvre; ceux-ci se seraient révolté et mélangé à d´autres races, causant guerres et révolutions. On reconnaît là le schéma raciste de la Chute primordiale selon les spéculations ariosophes. Pour pallier à ce chaos, les Aldébaraniens jettent leur dévolu sur les Germains qu´ils reconnaissent comme leur descendance la plus pure, d´où leur transfert de technologie soucoupique.

Bénéficiant du boom complotiste du tournant du millénaire, le mythe se répand dans quantité de publications selon une logique de recyclage et de surenchère : citons, pour mémoire, le best-seller de Nick Cook The Hunt for Zero Point (2003), Reich of the Black Sun: Nazi Secret Weapons and the Cold War Allied Legend de J. P. Farrell (2004), Hochtechnologie im Dritten Reich d´Axel Stoll (2004), Strange Company: Military Encounters with UFOs in WWII de Chester, Keith (2007) ou Alien Contact: Nazi UFOs de Philip Gardiner (2016). Parallèlement, quantité de fictions routinières s´emparent du mythe, érigé en véritable cliché dans la dernière décennie: B. Cunningham, Frozen Secrets (2012), A.G. Riddle, The Atlantis Gene (2013), D. et S. Oester Hollow Earth – A Jack Hunter Adventure (2013), K. M. Ashman, The Mummies of the Reich (2013), C. Faust, Hunt: Beyond the Frozen Fire (2014), P. Child, Ice Station Wolfenstein (2014), A. Gansky, End Game (2017), A. Hunt, Into the Blue (2017), W. Meikle, Operation Antarctica (2017), etc.

 

Qui plus est, ces théories circulent désormais viralement sur la Toile, ce parfait disséminateur de toutes les conspiranoïas. Épistémè flottante du Web, ce retour du refoulé d’une pensée magique (voire «sauvage») à l’âge des ruines de la déconstruction constitue une sorte de négatif hégélien de l’âge de l’information où tout devient, du même coup, désinformation selon le principe orwellien de la novlangue. À la croisée du relativisme épistémologique et du surinvestissement herméneutique voici advenu, étrange alliance des théories du complot de l’ultragauche et de l’extrême droite, «l’âge de l’hyper-soupçon» (notamment médiatique). La liste de liens est ici virtuellement inépuisable, proliférant dans des sites tels que prisonplanet.com, propagandamatrix.com, davidicke.com, disclosureproject.org ou leur équivalent hispanique rafapal.com (supposément le blog le plus consulté dans toute la blogosphère nationale, mais n’est-ce encore qu’un énième écran de fumée –«cover up» du «cover up» dans une boucle potentiellement infinie?).

La vogue des Ovnis nazis, telle qu’on la trouve par exemple synthétisée par Wikipedia, s’inscrit ainsi dans la multitude de mythes qui témoignent de la dissolution du vraisemblable qui accompagne le « meurtre parfait» diagnostiqué par Baudrillard comme ultime déréalisation du réel. Quantité de «documentaires» sur la question, tels que le Russe «Third Reich - Operation UFO» (2006) montrent de façon éclatante, que toute image est désormais «impure» et relève du simulacre (toute illusion mimétique ne pouvant que disparaître à l'heure du photoshop), tandis que le thème de la réalité manipulée devient, sous l'influence de la science-fiction (et notamment de l'œuvre visionnaire de P. K. Dick, qui imagina ce futur alternatif régi par l’Axe qu’est Le Maître du Haut Château) le leitmotiv de la fiction et de la philosophie contemporaine.

Par ailleurs, comme le signale Goodrick-Clarke, « les soucoupes volantes sont ambigües. Les surfaces d'acier rayonnant et la vitesse de l'éclair suggèrent également une esthétique de l'identité blindée et invincible. Cette image des soucoupes volantes peut refléter des notions fascistes profondément ancrées de la technologie, du genre et de la sexualité. (…) La mythologie nazie des soucoupes volantes partage certainement ce symbolisme, reflété par les étendues glacées, brillantes et sans vie de l'Antarctique, où des communautés militaires exclusivement masculines travaillent dans des silos à soucoupes pour reconquérir le monde. Armée de ce symbolisme, la mythologie ovni nazie identifie toujours les Allemands comme la race maîtresse » (2002 : 171). Étrange avatar de la mystique totalitaire du Führer, les ovnis nazis opèrent une transubstantiation du national-socialisme qui non seulement transpose la nostalgie du Reich en un récit des origines uchronique où la défaite d´hier devient la victoire finale de demain mais vise à se substituer au souvenir horrifique des camps[4].

Quantité de films contemporains accompagnent les spéculations complotistes, unissant la fascination de la culture pop pour les Nazis, figures parfaites du Mal absolu comme altérité radicale et le goût rétrofuturiste des pastiches de l´esthétique pulp. On peut citer, outre Iron Sky (2012) qui reprend l´idée des Nazis sur la Lune avancée par Heinlein dans Rocket Ship Galileo (1947) et sa suite ancrée dans la Terre Creuse The Coming Race (2019), hommage explicite au roman de Bulwer Lytton déjà cité et reprise éhontée du sujet de  Les nazis au centre de la Terre (Joseph J. Lawson, 2012). Les pseudo-documentaires des émissions telles que Ancient Aliens (2010- ) ou Unsealed Alien Files (2011-5) ont multiplié les références aux ovnis nazis. Des jeux vidéos tels que Wolfenstein II : The New Colossus (2017) s´approprient eux aussi du mythe.

Curieusement, jusqu`à date, personne n´a songé à rapprocher, par un ultime tour d´écrou de la pensée conspiranoïaque, ces étranges réfugiés des Pôles de son plus célèbre habitant, voire monarque. Vu le "pôle magnétique" de l´imaginaire que constitue le "point blanc sur la carte" ultime qu´est le Pôle (malgré sa cartographie précise et sa satellisation désormais accessible sur Google Earth) il n´est pas étonnant que le domaine mythique du Père Noël s´y situe. Santa Claus, déformation du Sinterklaas (saint Nicolas) néerlandais, est comme on sait largement inspiré de Julenisse, un lutin nordique qui apporte des cadeaux, à la fête du milieu de l'hiver, la Midtvintersblot, ainsi que du dieu celte Gargan (qui inspira le Gargantua de Rabelais) et du dieu viking Odin, qui descendait sur terre pour offrir des cadeaux aux enfants scandinaves (et auquel nombre d´aryanosophes vouaient un certain culte) : « The appearance of Santa Claus or Father Christmas, whose day is 25th of December, owes much to Odin, the old blue-hooded, cloaked, white-bearded Giftbringer of the north, who rode the midwinter sky on his eight-footed steed Sleipnir, visiting his people with gifts. … Odin, transformed into Father Christmas, then Santa Claus, prospered with St Nicholas and the Christchild became a leading player on the Christmas stage » [5].

 En 1879, l´illustrateur Thomas Nast révéla que son habitat naturel était le Pôle Magnétique du Nord, centre des aurores boréales, situé à l´époque au Canada. La localisation exacte est toutefois restée incontestée. Selon les Norvégiens il habite à Drøbak, à 50 km au sud d'Oslo. Pour les Suédois, c'est à Gesunda, au nord-ouest de Stockholm, et pour les Danois au Groenland. Les Américains considèrent qu'il habite au pôle Nord, mais en 1927 les Finlandais ont décrété que le père Noël ne pouvait pas y vivre, car il lui fallait nourrir ses rennes : sa résidence fut donc fixée en Laponie, au Korvatunturi puis, cette région étant un peu isolée, près de la ville de Rovaniemi (qui abrite désormais un Village du Père Noël). Le Canada, ainsi que les Etats Unis (North Pole, Alaska, ZIP code 99705) l´a même pourvu d´un code postal en 1994, le très approprié « H0H 0H0 » et le ministre de Citoyenneté, Jason Kenney, en a même fait officiellement un citoyen canadien le 23 décembre 2008 (peut-être la plus grande opération d´appropriation de la figure depuis le « putsch » de Coca-Cola, qui lui imposa ses couleurs)[6]. Enfin, selon la célèbre chanson de Joseph (Pierre Laurendeau), reprise par Les Colocs, « Le Père Noël c't'un Québécois » (en 1953, Réal Rousseau et Jacques T. Melchers construisirent même sa résidence d'été à Val-David, où il reviendrait religieusement se reposer).

L´on connaît le problème physique qui affecte cette créature bien-aimée. À savoir, le défi d´atteindre les 1.046 kilomètres par seconde, 3.000 fois la vitesse du son, pour pouvoir visiter en une nuit magique les 91, 5 millions de maisons abritant les 375 millions d'enfants qui attendent avec impatience leurs 321.300 tonnes de cadeaux (en sachant qu´il ne desservit pas les populations musulmanes, hindoues, juives et bouddhistes)[7]…Par ailleurs, la réalité de l´exploitation capitaliste de la figure (la première résidence commerciale du Père Noël fut le "Christmas Fairyland" du Bon Marche Department Store à Liverpool  en 1879) et de la globalisation économique qu´il incarne fait désormais imaginer ce paradis enfantin sur le modèle de la production mécanisée de masse (voire des sweatshops…) Un article de 2004 (The North Pole's Turbo Supply Chain) décrit ainsi le « Centre de distribution principal de Santa » « Avec ses 4.000.000 pieds carrés ( 370 000 m2), c'est l'une des plus grandes installations du monde . Un système de gestion d'entrepôt en temps réel ( WMS ) est bien sûr nécessaire pour faire fonctionner un tel complexe . L'installation fait un usage intensif de la tâche d´entrelacement, combinant des dizaines d'activités (entrée de stock , réapprovisionnement , préparation de commandes , le chargement des traîneaux, le comptage de cycle ) dans une file d'attente dynamique ... les WMS et le système de transport sont entièrement intégrés , permettant ( les elfes ) à prendre des décisions optimales que le transport de l'équilibre et de la préparation des commandes et d'autres coûts . À l'insu de beaucoup, le Père Noël a fait utiliser de nombreux traîneaux et des pilotes déguisés en faux Santas pour faire le travail la veille de Noël , et le système de gestion du transport ( TMS ) construit de manière optimale des milliers de sacs consolidés qui maximisent l'utilisation de cube et minimisent les miles aériens totaux… »

Or, comment se fait-il que personne n´a encore songé à faire le rapprochement avec ces prodigieux instruments qui se trouvent dans son domaine même, ces Ovnis Nazis des bases polaires ? Ce serait là une sorte de "justice poétique", étant donné l´animosité du national-socialisme contre une figure jugée intolérablement chrétienne, pacifiste et non-aryenne, au point de vouloir entièrement le transformer revendiquant les origines païennes de celui qui fut autrefois connu sous le nom de Odin, renommant "Rauhnact" -la nuit rude- la veillée de Noël pour la destituer de son pacifisme (il s´agissait désormais de fêter «une paix nationale domestique concrète», soit la Pax Naziana fondée sur la persécution des "ennemis du Peuple allemand"), et substituant au Christ Sauveur le "Sauveur Führer" (John Brownlee, "How Hitler Tried To Redesign Christmas"). Reprenant ses droits, celui que les allemands désignent plus communément sous le nom de Weihnachtsmann triompherait ainsi ses anciens détracteurs pour transformer leur message de haine en une prodigieuse festivité qui, bien que totalement récupérée par le capitalisme marchand, réanime, pour une nuit, les mirages polaires de la corne d´abondance primordiale des Bienheureux Hyperboréens.

 

 

Bibliographie citée :

Marina Barker, Discovering Christmas Customs and Folklore: A Guide to Seasonal Rites Throughout the World, page 62. Osprey Publishing, 2007 [1962]

Joscelyn Godwin, Arktos: The Polar Myth in Science, Symbolism, and Nazi Survival, Londres, Thames and Hudson, 1993

Nicholas Goodrick-Clarke, Black Sun: Aryan Cults, Esoteric Nazism and the Politics of Identity, New York University Press, 2002

Walter Kafton-Minkel, Subterranean Worlds: 100,000 Years of Dragons, Dwarfs, the Dead, Lost Races, and UFOs from Inside the Earth, Loompanics Unlimited, 1983




[1] Il est intéressant de noter que trois ans plus tard Kenneth Johnson proposait son allégorisation fasciste de l´invasion extraterrestre (à moins que ce ne soit l´inverse) dans la première minisérie V.

[2] Du côté de la fiction, on peut aussi citer Opération Orth ou l´incroyable secret de Rennes-le-Château de Jean Robin (1989) où le «nouveau Agartha» abrite, dans un vaste complexe technologique souterrain d’où sortent les inévitables vimanas, les phalanges de l’Ordre Noir qui attendent, après la mort de Hitler dans ce refuge (en 1953, allez savoir pourquoi), la venue de «Celui Qui Doit Venir»…

 

[3]  « Comprenez-vous maintenant pourquoi tout ce qui a trait aux OVNIs passe pour de la fumisterie dans les mass media, et ceci particulièrement en Allemagne ? Compte tenu de cet arrière-plan allemand, le monde de la presse et des médias qui est contrôlé par les Illuminati gràce au lobby anglo-américano-sioniste est prêt à investir des sommes énormes pour empêcher le citoyen allemand de faire des investigations en ce domaine ».

 

[4] “In its first period, 1950 to 1970, chief emphasis was laid on the myth of Nazi survival, German technical prowess and the construction of miracle craft and secret bases in Antarctica and South America. These tales served a consoling function for the defeat of the Third Reich and division of postwar Germany while promising a revanchist Nazi millennium. But the UFOs are also vehicles for a futuristic Aryan cult. In the period 1970–85, Wilhelm Landig and Ernst Zündel embroider the technical scenario with Gnostic Thulean-Jewish struggles and the Black Sun mythos. By the 1990s, Miguel Serrano, Norbert Jürgen-Ratthofer, Ralf Ettl and Jan van Helsing present Nazi UFOs within a new Ariosophy of semi-divine Aryan origins along with channeling, conspiracy theories and New Age beliefs. Sumerian and Templar secrets, wise extraterrestrial guides, spiritual purity and the daz[4]zling perfection of spinning luminous saucers offer positive archetypal sym[4]bols. These not only erase the cruel memory of the Third Reich, but suggest that the Nazis were interesting, spiritual people. Such is the power of UFO mythology to reconfigure Nazism for the twenty-first century” (Goodrick-Clarke: 2002: 171-2)

[5] Margaret Baker, 2007 [1962]: 62. Voir aussi McKnight, George Harley, St. Nicholas: His Legend and His Role in the Christmas Celebration and Other Popular Customs, G. P. Putman's sons. & Springwood, 1917, pp. 24-26, 138-139. et Charles Fruehling,  "If Santa Wuz Black: The Domestication of a White Myth", Studies in Symbolic Interactions Series, v. 33, Emerald Group Publishing, 2009: 243-244.

[6] "The Government of Canada wishes Santa the very best in his Christmas Eve duties and wants to let him know that, as a Canadian citizen, he has the automatic right to re-enter Canada once his trip around the world is complete”. Toronto Sun, 23/12/2008

[7] Ces calculs, bien connus des internautes, sont résumés dans “The Physics of Santa Claus”