A man provides for his family: quelques notes sur Breaking Bad et le rêve américain

La maison de Walter White (Image : Breaking Bad, AMC)

A man provides for his family: quelques notes sur Breaking Bad et le rêve américain

Soumis par Simon Brousseau le 29/11/2012
Catégories: Fiction, Télévision

 

Breaking Bad est une série télévisée produite par Vince Gilligan qui raconte l'histoire de Walter White, un chimiste qui avait un brillant avenir devant lui et qui est toutefois devenu professeur dans une école secondaire. Il s'est donc établi dans une maison relativement modeste avec sa femme Skyler, à Albuquerque, au Nouveau-Mexique. La série s'ouvre sur le cinquantième anniversaire de Walter.  Celui-ci apprend qu'il est atteint d'un cancer du poumon inopérable et décide de commencer à synthétiser du crystal meth pour payer les frais de sa chimiothérapie, mais aussi pour laisser un héritage à sa famille (il a un fils et sa femme est enceinte). 

Au fil des saisons, Walter devient de plus en plus gourmand et téméraire. La sécurité financière de sa famille devient ainsi un enjeu secondaire laissant place à des motifs beaucoup plus personnels.  S'il se justifie auprès de sa femme en affirmant qu'il met du pain sur la table, on comprend que c'est d'abord son égo qui est en jeu. D'ailleurs, Walter apprend qu'il a vaincu son cancer et continue néanmoins à produire de la drogue. Il cherche à monter dans la hiérarchie et retire beaucoup de fierté à produire du crystal meth pratiquement pur.

Il est possible de croire qu'une analyse de la banlieue et des valeurs qu'elle incarne permet de mieux comprendre les motivations profondes de Walter. Il semble que ses agissements soient motivés par une forme de frustration qu'il a refoulée peu à peu, en vieillissant paisiblement dans son bungalow. À ce propos, dans le 6e épisode de la 5e et dernière saison, on apprend que Walter, avant de devenir professeur de chimie dans le high school où son fils Walter Jr. étudie, a vendu ses parts de la compagnie qu'il avait cofondée avec Elliott Schwartz, Gray Matter Technologies, pour la modique somme de 5000$. La compagnie vaut aujourd'hui 2,16 milliards $, et ce, grâce aux recherches de Walter. Il est d'ailleurs si amer qu'il vérifie la valeur de la compagnie chaque semaine. Autrement dit, Walter a déjà frôlé l'absolu en matière d'ascension sociale. Plutôt que de vivre le rêve américain dans toute sa gloire, il a toutefois dû se contenter d'une version standardisée du bonheur. À ce sujet, il faut noter que lors du flash-back où il visite sa future maison avec Skyler, Walter se montre insatisfait: il affirme qu'ils méritent une maison plus grande, à la mesure de leurs ambitions. Finalement, c'est tout de même cette maison qu'il habitera durant deux décennies.

Pour Walter, la Banlieue équivaut à la rationalisation de ses désirs. Le bonheur de la banlieue est un bonheur fait de sacrifices. Par exemple, puisque son salaire de prof ne suffit pas, il est amené à travailler dans un lave-auto… Un emploi sans doute humiliant pour un homme qui a contribué à un projet de recherche en radiographie qui a raflé le prix Nobel alors qu'il avait 26 ans. Ainsi, en banlieue, Walter était la réplique, la copie d'un modèle social. Dans la logique de Breaking Bad, la banlieue produit du semblable. En tant que chimiste (on pourrait presque dire en tant qu'Alchimiste), Walter a besoin de se retirer dans le désert pour créer. On a là une opposition très forte entre le désert suburbain, lieu de l'identique et de l'indiscernable, et le désert minéral, un lieu transcendant, un lieu de découverte. Quand on compare les deux, c'est paradoxalement le désert minéral qui semble le plus fertile. Il est d'ailleurs important de noter que Walter et son partenaire Jesse transforment un Wannebago en laboratoire, qu'ils baptisent The Crystal Ship, détournant ainsi de son usage habituel un item typiquement banlieusard. 

Breaking Bad, par AMC

Dans une des scènes marquantes de la série, Gus, l'un des caïds les plus redoutables, tente de convaincre Walter de travailler pour lui en faisant un discours sur les responsabilités du père de famille. Il lui dit: «What does a man do, Walter? A man provides for his family.» Évidemment, cette vision du monde patriarcale, et peut-être aussi banlieusarde, n'est plus celle de Walter. Il cherche simplement à devenir le meilleur dans ce qu'il fait. D'ailleurs, pour parvenir à ses fins, il n'hésite pas à éliminer les gens qui se dressent sur son passage… Walter n'a plus l'attitude du bon père de famille, mais bien celle du chef de meute. À la fin, il a tellement d'argent qu'il n'y a plus de place dans sa maison pour le cacher. 

Cette expansion de l'égo, cette poursuite d'un absolu sont totalement opposées à l'expérience de la banlieue de Walter. À ce propos, Walter adopte le surnom d'Heisenberg, une référence à Werner Heisenberg, l'un des fondateurs de la physique quantique et prix Nobel de 1932. Walter, dans une logique de la distinction, refuse le banal, le sensé.

Breaking Bad, par AMC

Pour terminer, je voudrais aussi mentionner qu'à la fin de la série, Walter invente un stratagème afin de préparer la drogue sans risquer de se faire prendre: il s'associe avec une compagnie d'extermination de vermines à domicile. Ainsi, quand les banlieusards quittent leur maison afin qu'elles soient décontaminées, Jesse et Walter s'y rendent et s'adonnent à leurs activités illicites. Il me semble qu'il y a d'ailleurs derrière ce détournement de maisons de banlieue une logique de la contamination, ou encore une logique vengeresse. Le stratagème est parfait, certes, mais il contient aussi une part d'ironie et de témérité qui caractérise à merveille le nouveau rapport qu'entretient Walter avec la banlieue. Après tout, il pouvait se réconcilier avec la banlieue. Il fallait simplement que ce soit lui qui décide des règles du jeu.