The Night of the Loving Dead: Hybridité entre le roman d’amour et le roman d’épouvante dans «Warm Bodies»

The Night of the Loving Dead: Hybridité entre le roman d’amour et le roman d’épouvante dans «Warm Bodies»

Soumis par Mylène Truchon le 29/04/2015

 

Le mort-vivant envahit, depuis le tournant des années 2000, pour citer Antonio Dominguez Leiva, «les moindres recoins de l’iconosphère globale» (2010: 19). On le retrouve désormais comme sujet central de productions humoristiques (Shaun of the Dead, Fido, Zombieland), ou encore comme trame de fond d’histoires romantiques (Pride and Prejudice and Zombies, la collection Harlequin Take a Bite out of Zombie Fictions). Porté par cette vague et sans nul doute inspiré par le succès connu par Twilight, l’auteur Isaac Marion a fait en 2010 le pari fou de pouvoir écrire une histoire d’amour qui mettrait en vedette une adolescente et... un mort-vivant!

Surréaliste, Warm Bodies s’inspire de Roméo et Juliette (notamment pour les noms des protagonistes, qui sont R et Julie) et en fait une toute nouvelle version post-apocalyptique. Piquée de curiosité, j’ai décidé de m’intéresser à la façon dont ce projet, en apparence totalement fou, pouvait prendre forme. Dans un premier temps, je me suis questionnée sur la façon dont s’entremêlaient les normes des genres terrifique et romantique, ou plus précisément du roman de type Harlequin. Dans un second temps, j’ai porté mon attention sur le résultat de cet amalgame sur la figure du zombie.

 

La cohabitation des pratiques

L’horreur et la romance sont deux genres qui, bien qu’ils cherchent tous deux à exciter les passions, n’ont pas les mêmes publics cibles, pas les mêmes intrigues, pas les mêmes procédés... bref, ce sont deux genres qui ne se ressemblent pas vraiment. Alors que le premier met en scène ce qu’on ne veut pas vivre, le second fait tout à fait le contraire, comme le spécifie Michelle Coquillat dans son livre Romans d’amour: «Tout dans sa pose évoque le luxe bourgeois des vacances (il faut faire rêver le peuple d’une autre vie, d’autres espaces), mais surtout l’alanguissement voluptueux de la rêvasserie amoureuse, la douce occupation de ‘‘la folle, tendre, merveilleuse aventure de l’amour’’.» (Coquillat, 1988: 15) Pour parvenir à mélanger terreur et romance, Isaac Marion a donc dû tronquer l’un et l’autre et le résultat est pour le moins... surprenant.

Dans son ouvrage La corrida de l’amour, Julia Bettinotti se concentre elle aussi à définir le roman Harlequin. Elle dit que celui-ci est «généralement mené à la troisième personne et narrativement orienté vers le personnage féminin central», mais spécifie que la «forme privilégiée de point de vue est le monologue intérieur» (Bettinotti, 1986: 40). Dans Warm Bodies, la narration est menée à la première personne par le protagoniste lui-même, R. Néanmoins, bien que le destinateur varie alors, l’intention reste la même: offrir au lecteur un roman de l’intériorité, dans lequel les deux protagonistes semblent seuls au monde, les autres personnages, plutôt mineurs, n’y jouant qu’un rôle fonctionnel. Bettinotti insiste sur ce dernier point, qui ferait la particularité du Harlequin: bien que les deux personnages centraux soient attirés l’un vers l’autre, tout les désunie: «Depuis les techniques de présentation jusqu’au portrait sémantique, les deux seuls et vrais protagonistes du roman Harlequin s’opposent.» (Bettinotti, 1986: 36-37) Or, c’est justement ce que présente le roman de Marion, c’est-à-dire l’ultime représentation des contraires: lui est mort, elle est vivante. Cependant, c’est là que la magie opère. Alors que le roman post-apocalyptique raconte la guerre que se mènent leurs deux clans, Warm Bodies s’évertue plutôt à expliquer ce qui les unit.

Les descriptions des lieux sont elles aussi intéressantes puisque ceux-ci sont on ne peut plus représentatifs du mélange des genres littéraires réalisé par l’auteur. Alors que la romance favorise la mise en place de lieux exotiques, paradisiaques, romantiques, la dystopie, elle, accumule les décors délabrés et sombres, de même que les villes en ruines. L’amalgame des deux, dans Warm Bodies, résulte en ceci: les décors sont détruits, mais ils sont intimes, calmes et apaisants: «My residual memories of these roads contrasts dramatically with their peaceful present state. I take a deep breath of the sweet, silent air.» (Marion, 2011: 14) De l’horreur, donc, parvient toujours à surgir la beauté: «The windows are all dark except for a third-floor balcony jutting out from the side of the house. The balcony seems incongruously romantic in this austere structure, until I notice the swivel-mounted sniper riffles on each corner.» (Marion, 2011: 126) Ces lieux sont ravagés, mais ils sont paisibles et appellent à la détente. Fait intéressant, dans son article «L’horreur post-apocalyptique ou cette terrifiante attraction du réel», Richard Bégin dit que «de la catastrophe s’est opéré un glissement du regard qui a eu pour effet de souligner la vacuité de ses représentations fantasmatiques et, surtout, l’abîme de leur caractère énonciatif» (Bégin, 2010: 184). En d’autres mots, les espaces dans lesquels errent les zombies et les survivants ont perdu toute signification qu’ils avaient autrement. Tous ne sont que des lieux abandonnés et les raisons qui nous poussaient à les visiter ne sont plus pertinentes. Plus aucun décor n’est familier, tout est dépourvu de sens et de symbolique. Pourtant, dans Warm Bodies, on assiste à une réappropriation de ces lieux abandonnés. Un avion abandonné devient un havre de paix pour R, une chambre dans laquelle il accumule des objets retrouvés qui, pour lui, prennent ensuite une valeur sentimentale. Même chose avec la chambre de Julie, dont R dit: «If her mind were a room, it would look like this.» (Marion, 2011: 130) On s’éloigne ainsi largement des propos tenus par Bégin, puisque les personnages parviennent à recouvrir ce qui avait été perdu.

On peut néanmoins appliquer ce qui a été dit précédemment à la figure du zombie qui, comme les lieux qu’il parcourt, est habituellement lui-même reconnu comme étant un humain dépourvu de raison d’être et ayant perdu toute humanité. S’intégrant aux groupes qu’il croise, il représente la multiplicité et la dépersonnalisation, «l’homme-masse» (Dominguez Leiva, 2010: 21), ce qui, il faut se l’avouer, sont des préceptes qui cadrent mal dans le roman d’amour. R lui-même affirme qu’une fois devenu un mort-vivant, il est d’abord et avant tout devenu «no one» (Marion, 2011: 4) Plus précisément, il dit: «We recognise civilization – buildings, cars, a general overview – but we have no personal role in it.» (Marion, 2011: 4) Il est, à la lumière de ceci, surprenant qu’une jeune femme ait pu s’éprendre de lui, si anonyme (il ne connaît même pas son propre prénom) et, en théorie, si dépouillé de son humanité. Pour que cela puisse être possible, Marion a dû mettre de la vie (littéralement) là où il ne devait plus y en avoir. Le zombie n’est plus qu’un cadavre qui se meut, il est un cadavre dans lequel se trouve encore une parcelle d’humanité, de là la possibilité d’une idylle amoureuse.

D’ailleurs, lorsqu’elle décrit la rencontre entre l’homme et la femme dans le Harlequin, Bettinetti emploie un vocabulaire qui semble tout droit sortir des récits de morts-vivants: «Dès que l’héroïne quitte les lieux pour s’aventurer au ‘‘dehors’’, elle tombe invariablement dans les filets du héros. Sitôt son pays quitté pour un pays étranger, sa chambre pour une autre pièce, la ville pour le ranch du héros, la femme devient vulnérable, elle se fait attaquer, bousculer [...].» (Bettinotti, 1986: 59). Michelle Coquillat tient elle aussi ce genre de discours. Elle dit du héros qu’il «mange, consomme, dévore, recrée, se transforme et transforme le monde» (Coquillat, 1988: 26). Elle ajoute que la virilité «s’exprime [...] physiquement dans sa domination du femelle, la femme y [étant] ‘‘une proie’’, inquiète, consciente, sans y rien pouvoir, du danger qu’il [le héros] représente, soumise cependant à sa séduction» (Coquillat, 1988: 32). Tout ce vocabulaire confond chasse et romance et décrit étrangement la relation présentée dans Warm Bodies, celle qui unit un prédateur et sa proie. La première rencontre entre R et Julie, justement, s’articule autour de cette dynamique. Julie est accompagnée d’un groupe de jeunes adultes dont le but est de récolter des médicaments, de la nourriture et autres produits nécessaires. De son côté, R et d’autres zombies ont quitté l’aéroport où ils se trouvent habituellement afin de se nourrir. La réunion de ces deux groupes résulte en une scène de violence puisque tous deux tentent de s’éliminer. Cependant, il est rapidement évident que les morts-vivants prennent le dessus et, pour cette raison, R entreprend de sauver Julie, pour qui il a eu le coup de foudre. Paradoxalement, comme mentionné, tout cela correspond assez bien aux propos de Bettinotti et Coquillat et, à cet égard, le roman de Marion parvient à répondre aux exigences du roman Harlequin, la page couverture illustrant les deux amoureux enlacés incluse (celle dont l’image est tirée de l’affiche du film, du moins).

R étant un mort-vivant, il est évident qu’il est bel et bien animé par la «fulgurante animalité et [la] violence» (Coquillat, 1988: 30) que décrivent les deux chercheuses. Néanmoins, il n’a en rien le physique musclé qu’elles mentionnent, mais il semble qu’il ne ressemble pas cependant non plus tant que ça au cadavre qu’il est en réalité. Il dit lui-même:

None of us are particularly attractive, but death has been kinder to me than some, I’m still in the early stages of decay. Just the grey skin, the unpleasant smell, the dark circles under my eyes. I could almost past for a Living man in need of vacation. (Marion, 2011: 3)

En outre, bien qu’il n’ait pas une musculature apparente, il est bel et bien mû par une force physique impressionnante. À un certain moment, il a une altercation avec un homme décrit comme étant grand et ayant les bras musclés. Pourtant, R parvient à le blesser gravement (sans pour autant le mordre) et en fait tout autant avec les deux hommes qui l’accompagnaient. Un autre point qui le lie au héros Harlequin est son penchant carriériste, comme on le voit dans cette description qu’il fait de lui-même: «Before I became a zombie I must have been a businessman, a banker or broker or some young temp learning the ropes, because I’m wearing fairly nice clothes. Black slacks, grey shirt, red tie.» (Marion, 2011: 3)

R serait-il en tout point un personnage de roman Harlequin? S'il y ressemble beaucoup,  rien n’est moins sûr,  tant son état cadavérique prend parfois le dessus. En fait, vient maintenant le temps de se pencher sur cet autre aspect de sa personne: comment un zombie qui, en théorie, n’éprouve rien d’autre que la faim, peut-il, d’emblée, tomber amoureux? Pour répondre à cette question, il faut maintenant s’intéresser à la figure du zombie présentée par Marion. Bien qu’elle respecte quelques conventions, elle doit également, pour la crédibilité du récit, également s’affranchir de certaines d’entre elles.

 

Pour un nouveau paradigme du zombie

La plupart des sources s’entendent pour dire que le zombie trouve sa source dans le créole africain (même si certains, comme le sociologue Vincent Paris, les ont trouvés dans des sources plus anciennes, jusque dans la Bible). Victime d’un mauvais sort, la personne touchée par ce mal devenait dès lors une sorte de corps vide sans volonté. Elle constituait l’esclave parfait, puisque docile (Pépin, 2013: 16). Généralement, l’image que le mort-vivant évoque, depuis 1968 du moins, est plutôt celle proposée par George A. Romero dans son film culte Night of the Living Dead, c’est-à-dire celle d’un cadavre désarticulé, dénué d’humanité et guidé par son envie de chair humaine (Pépin, 2013: 19-20).

Au cours de la dernière décennie, on a cependant observé un glissement du modèle. Le zombie se transforme radicalement puisqu’il se voit à la fois plongé au cœur de comédies pour enfants, de comédies ou, comme on en a longuement parlé, de récits romantiques. En fait, déjà en 2005, Romero lui-même, dans son film Land of the Dead, avait rompu avec son propre schéma en introduisant l’idée d’une conscience chez le mort-vivant. D’autres ont ensuite emprunté cette avenue, comme David Wellington, avec sa série Zombie Story. Parallèlement, Zack Snyder, dans son remake de Shaun of the Dead sorti en 2004, mettait en scène des zombies non pas intelligents, mais agiles et rapides, tout comme ceux dans 28 Days Later et I Am Legend1. L’image, pour citer la pensée d’Andy Warburg telle que présentée par Maxime Coulombe dans Petite philosophie du zombie ou comment penser par l’horreur, n’est donc pas «unifiée, en elle se mêle des formes et des forces diverses, si diverses qu’elles en viennent à faire de l’image non pas une surface lisse, mais une forme animée de désirs, de tensions parfois contradictoires» (Coulombe, 2012: 39-40). Isaac Marion lui-même offre au public une image renouvelée du mort-vivant qui, néanmoins, n’est pas entièrement inédite: elle puise en fait ses sources à la fois dans le zombie créole et dans le zombie romérien. Attardons-nous donc maintenant à chacune de ses caractéristiques, à commencer par la source du mal. Il est à noter que toutes les définitions proviennent principalement du livre d’Amélie Pépin, mais que celui de Maxime Coulombe a également été mis à contribution.

Chez le mort-vivant créole, on sait qui est responsable du sort du zombie. Il s’agit du sorcier qui, par le biais d’un empoisonnement ou d’un sort, prend possession d’un individu qui, dès lors, se retrouve entre la vie et la mort puisqu’il a, sans pour être autant décéder, l’apparence d’un cadavre. Et la victime n’a en aucun cas de mauvaises intentions puisqu’il est en réalité guidé par les ordres de son maître (Pépin, 2013: 26-29). Chez Romero, cependant, le mort-vivant est un prédateur redoutable et est, quant à lui, définitivement mort. Son état est d’ailleurs irréversible, mais, paradoxalement, le cadavre peut se mouvoir. Ses «intentions», si on peut en dire autant, sont en tout point mauvaises, car il est guidé par son seul instinct cannibale (Pépin, 2013: 36-40). Dans Warm Bodies, on ne sait pas ce qui a provoqué la venue des zombies. R lui-même se questionne à ce sujet: «I don’t know what happened. Disease? War? Social collapse? Or was it just us? The Dead replacing the Living?» (Marion, 2011: 6) Une chose est assurée, néanmoins, et c’est que lui et ses semblables sont tous morts. On serait donc tenté, à première vue, de les lier au modèle du zombie romérien, mais rien ne serait plus faux. Notamment, les morts-vivants, et R plus particulièrement, éprouvent de la honte à l’idée de manger les humains: «Eating is not a pleasant business. I chew off a man’s arm, and I hate it. I hate his screams, because I don’t like pain, I don’t like hurting people, but this is the world now.» (Marion, 2011: 7) Dès lors, il n’est poussé, dans ce cas-ci, que par son besoin de se nourrir: «I don’t know why we have to kill people. [...] But following those laws keeps me walking, so I follow them to the letter.» (Marion, 2011: 8) Plus tard, il se remettra néanmoins en question, après avoir mangé le copain de Julie, et sa culpabilité sera sans précédent: «I can feel it burning here like a coal of guilt, and I reflexively back away from her [Julie], unable to comprehend this curdled mercy, [...] I am the lowest thing, I am the bottom of the universe.» (Marion, 2011: 27) D’ailleurs, la honte n’est pas la seule émotion qui le submergera. À plusieurs reprises, il est mentionné que l’un d’eux peut être en train de s’ennuyer, être dérangé, attristé, etc. Bref, il s’agit là d’une gamme d’émotions assez respectable pour des cadavres et, par le fait même, les zombies de Warm Bodies ne peuvent être identifiés à ceux de Romero.

Par rapport au physique et à la physionomie, le mort-vivant africain est présenté comme un vivant qui semble mort, comme on l’a précédemment mentionné, car ses mouvements sont saccadés et que son regard est absent (Pépin, 2013: 19-20). Chez Romero, la créature est plutôt un cadavre qui se trouve à un stade plus ou moins avancé de décomposition et qui, par le fait même, est lente et désarticulée (Pépin, 2013: 39-40). Chez Marion, le zombie est bel et bien un corps pourri. La narration, à plusieurs reprises, fait état de cette réalité: «you can’t smile because your lips have rotted of» (Marion, 2011: 3), «beards, hairs, toenails... no more fighting biology» (Marion, 2011: 7) ou encore «breathing is optional» (Marion, 2011: 9). Cependant, la mort a été, pour plusieurs, assez clémente et n’a pas trop fait de ravages. C’est naturellement le cas de R, on l’a déjà dit, et plus le temps passe, plus cette vérité se confirme, car R parvient à plusieurs reprises à se faire passer pour un vivant. À un certain moment, Julie et son amie Nora le maquillent et celle-ci ira même jusqu’à s’exclamer: «You look hot!» (Marion, 2011: 144). M, le meilleur copain de R, a droit au même genre de commentaire: «You look pretty good for a corpse.» (Marion, 2011: 43) Comme le dit Antonio Dominguez Leiva, le zombie, face au culte de la performance et de la santé du corps, étale  habituellement sa pourriture. Il transgresse les distinctions entre l’intérieur et l’extérieur puisque ses viscères s’étalent et pendent (Dominguez Leiva, 2010: 20-21). Les morts-vivants de Warm Bodies, pour leur part, ne remplissent pas ce mandat, et ce, pour le plus grand bien de la crédibilité de la romance.

Pour finir, le salut du mort-vivant varie selon s’il est créole ou romérien. Le zombie vaudou peut en effet être ranimé soit par l’ingestion de sel, soit par la mort de celui qui le guide (Pépin, 2013: 28-29). Celui imaginé par Romero, toutefois, est définitivement un cadavre et son cas est sans appel. Et parmi ces deux propositions, aucune n’a été choisie par Isaac Marion. Maxime Coulombe dit: «Le cinéma de zombies est un cinéma postapocalyptique, en ce qu’il décrit avec force détails l’échec des protagonistes à éviter la destruction de l’humanité. Cette apocalypse, comme le zombie, est aussi un symptôme d’un certain pessimisme contemporain ressassé par les médias.» (Coulombe, 2012: 16) Or, Warm Bodies se veut, quant à lui, optimiste. En effet, il existera une cure au mal qui ronge la planète: l’amour. À plusieurs reprises, il est fait mention du processus de guérison par lequel passe R, frappé cette fois-ci par «a good disease, a virus that cause life» (Marion, 2011: 191). Les diverses étapes de cette transformation sont parsemées dans le texte: R peut désormais sourire, rêver, presque sentir son cœur battre, ressentir de moins en moins le besoin de manger des êtres vivants, courir, rire et chanter. Les autres sont également touchés par ces changements, mais à teneur réduite: «The others are not quite there yet, not even to M’s level of conscience, but there is something a little different about them, too.» (Marion, 2011: 116) Les seuls qui ne sont pas touchés par cette vague de guérison sont les Boneys, une sorte de zombie plus profondément affectée, mais ils s’immobilisent à tout jamais, désormais inutiles dans ce monde d’espoir.

D’autres éléments distinguent le modèle de zombie développé par Marion des modèles qu’on mentionne depuis le début. Notamment, il possède des bribes de mémoire: «No one I know has any specific memories. Just a vague, vestigial knowledge of a world long gone. [...] We may appear mindless, but we aren’t.» (Marion, 2011: 4) D’ailleurs, plus R se sent redevenir humain, plus son esprit gagne en efficacité. Aussi, les morts-vivants peuvent-ils parler: «We grunt and moan, we shrug and nod, and sometimes a few words slip out.» (Marion, 2011: 3) R et M ont même des conversations de quelques morts. Finalement, il règne chez les zombies une certaine organisation sociale, et ce, grâce aux Boneys, qui on mit en place un sanctuaire où des mariages sont célébrés, de même qu’une école où les jeunes apprennent à chasser. Tous ces éléments, à eux seuls, auraient pu faire l’objet d’un nouveau texte.

En somme, Warm Bodies s’inscrit dans la vague qui, depuis les années 2000, mène à la mise en place de modèles inédits de morts-vivants. Au sein du roman de Marion, il devient un tendre amant. Originalement laid et sans émotion, il devient séduisant et éprouve désormais de la sensibilité. Bafouant toute logique, l’histoire jongle à la fois avec les normes du récit sentimental et celles du récit horrifique, pourtant si éloignées, et propose ainsi un nouveau paradigme du zombie. Bien que mon appréciation personnelle du roman fut limitée, son succès commercial m’amène cependant à me poser une importante question. Le zombie est-il voué à se transformer ou, ultimement, le modèle traditionnel persistera-t-il malgré tout? Les incohérences soulevées à la lecture du texte m’amènent à croire que le changement n’est pas pour demain et que, pour longtemps encore, les zombies grogneront le mot brains plutôt que le mot hearts.

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Cet article est issu du colloque étudiant Interstices: la richesse des frontières, organisé par Mathieu Villeneuve, Paul Kawczak et Samuel Archibald, dans le cadre du Congrès Boréal 2014.

 

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Bibliographie

BÉGIN, Richard 2010. «L’horreur post-apocalyptique ou cette terrifiante attraction du réel». Cinémas: revue d’études cinématographiques. vol. 20, no 2-3, pp. 165-191.

BETTINOTTI, Julia 1986. La corrida de l’amour. Montréal: Presses de l’Université du Québec à Montréal, coll. «Les Cahiers», 160p.

COULOMBE, Maxime. 2012. Petite philosophie du zombie ou comment penser par l’horreur. Paris: Presses universitaires de France, coll. «La nature humaine», 160p.

COQUILLAT, Michelle. 1988. Romans d’amour. Paris: Odile Jacob, 249p.

DICKNER, Nicolas 2011. «Mon zombie d’amour». Voir. En ligne. http://voir.ca/chroniques/hors-champ/2011/07/20/mon-zombie-damour/

DOMINGUEZ LEIVA, Antonio. 2010. «L’invasion néo-zombie: entre l’abjection, le grotesque et le pathos (2002-2009)». Frontières. vol. 23, no 1, pp. 19-25.

GUY, Chantal. 2013. «Zombies, sociologie des morts-vivants: le zombie, ce virus essentiel». La Presse. En ligne. http://www.lapresse.ca/arts/livres/en-vrac/201304/05/01-4638030-zombies-...

MARION, Isaac. 2011. Warm Bodies: A Novel. New York: Simon and Schuster, 256 p.

PÉPIN, Amélie 2013. Zombie, le mort-vivant autopsié. Montréal: Les Intouchables, 123p.

  • 1. Tous ne s’entendent néanmoins pas pour s’entendre que ce sont bel et bien des zombies qui sont mis en scène dans ces deux films. Nous nous permettons néanmoins d’en faire la mention dans cet article.