Résurrection, immortalité et intertextualité: de L'Île au Trésor à Pirates des Caraïbes

Résurrection, immortalité et intertextualité: de L'Île au Trésor à Pirates des Caraïbes

Soumis par Megan Bédard le 17/06/2016

 

«Qui pense pirate aujourd'hui, voit apparaître les réfractaires de la grande époque, 1630-1730, dont les navires au pavillon noir sillonnaient la mer des Antilles ou l'océan Indien» (Deschamps, 1962: 35). Bien que l'Histoire de ces pirates célèbres y soit pour beaucoup dans le développement de cette image, puisqu'elle a en effet largement inspiré la fiction, c'est aussi avec la littérature et les autres productions culturelles que s'est construit l'imaginaire collectif de la piraterie. «Le pirate prendra le dessus avec Walter Scott et, à travers la basse production littéraire et les opéras médiocres, trouvera son expression définitive avec Stevenson et Mac Orlan, avant de s'épanouir en couleurs dans la production d'Hollywood» (idem). Entre ses œuvres, se construit alors un réseau intertextuel, l'Histoire inspirant la fiction qui inspirera d'autres fictions par la suite, de Stevenson à Mac Orlan: «Venue de l'île au trésor cachée au cœur de notre enfance, l'Hispaniola émerge des brumes du souvenir et se profile derrière L'Étoile Matutine [...]» (Lacassin, 1984: 7). Plus récemment, nous avons vu la résurrection au XXIe siècle de la figure du pirate avec Disney et sa franchise Pirates des Caraïbes (The Curse of the Black Pearl, 2003; Dead Man's Chest, 2006; At World's end, 20071).

Tout en se développant dans le sillon de L'Île au Trésor (1883) de Stevenson et À bord de l'Étoile Matutine (1934) de Mac Orlan, ces films introduisent des éléments fantastiques peu utilisés dans l'univers de ces romans. Nous tenterons donc de voir comment la franchise de Disney utilise le fantastique au sein de l'univers fictif de la piraterie afin de déployer un discours sur les dynamiques intertextuelles des productions de cet univers. Nous analyserons d'abord comment se tissent les liens intertextuels entre les histoires et légendes pirates, L'Île au Trésor et À bord de l'Étoile Matutine, pour voir comment Pirates des Caraïbes s'inscrit dans cette tradition. La persistance de ces figures, qui sont principalement des figures d'aventures, dans les œuvres littéraires ou autres peut être alors perçue comme un symptôme des sociétés qui les produisent, mais leur réitération semble notamment faire ressortir des visions de la notion d'Aventure divergentes. La franchise de Disney met d'ailleurs l'accent sur une composante qui n'avait qu'un rôle secondaire, en apparence, dans les romans de Stevenson et Mac Orlan, c'est-à-dire le fantastique. Nous verrons donc comment le traitement qu'il y est fait du thème de la résurrection et de la quête de l'immortalité réactualise les problématiques littéraires de la figure du pirate et produit un discours autoréférentiel sur la piraterie comme aventure.

 

Intertextualité: reprise, fiction et problématisation

Dans un article sur l'évolution de la figure du pirate dans la littérature jeunesse, Alexandra Phillips montre l'influence qu'a eue le roman de Stevenson, L'Île au Trésor, sur les productions pour la jeunesse au cours du XXe et XXIe siècle (2011: 36-56). Stevenson s'est quant à lui inspiré de ses lectures de Defoe pour créer ses personnages:

Daniel Defoe [who] offers an early example of such writing, producing The Life, Adventures, and Pyracies of the Famous Captain Singleton in 1720. This was a fictional tale that incorporated the real-life pirate, Captain Avery into its narrative. Defoe is also often credited with writing the General History of the Pyrates (1724), purportedly by Captain Charles Johnson, a two-volume non-fiction account of thirty-three of the most infamous real-life pirates, commencing with that same Captain Avery. (Phillips, 2011: 37)

Nous voyons donc que déjà chez Defoe, il y a cette tendance dans les récits de piraterie à mêler la fiction aux éléments de l'Histoire des pirates illustres. Stevenson utilise un processus d'écriture intertextuelle semblable, mais comme l'écrit Tadié, «ces visions ont [...] été nourries d'emprunts littéraires [...]: le perroquet vient de Robinson, le squelette, de Poe, les premiers chapitres, de Washington Irvin. [...] John Silver a pour modèle un ami du romancier, et Trelawney a existé» (Tadié, 2013: 115). Les références se déploient clairement dans L'Île au Trésor qui servira également de référence pour les productions postérieures.

Dans un premier temps, par exemple, nous avons une comparaison entre ce personnage mystérieux, le capitaine Flint, mort avant le début du récit, qui aurait enfoui un trésor sur l'île. Ce nom trouve déjà son écho à l'intérieur même du roman en le personnage du perroquet (animal caractéristique qui reviendra dans la grande majorité des récits de piraterie, jusque dans Pirates des Caraïbes): «Voici l'Cap'taine Flint - j'ai appelé mon perroquet Cap'taine Flint, en souvenir du fameux pirate [...]» (Stevenson, 2000: 109). De plus, il compare Flint au personnage historique, «[n]atif de Bristol, Edward Teach, dit Barbe-Noire,  [qui] se fit pirate en 1713, après la capture d'un vaisseau français, qu'il rebaptisa La Revanche de la Reine Anne. Il passait pour une incarnation du diable, même pour son équipage qui redoutait sa cruauté» (Porée, 2000: 78). De cette façon, l'auteur contribue à la légende de son personnage, le capitaine Flint, d'une part en le mettant en parallèle avec un personnage historique et d'autre part, en y contribuant au sein même de la fiction2. Flint apparaît aussi dans le roman de Mac Orlan, À bord de l'Étoile Matutine, au moment où les gentilshommes de fortune cherchent un trésor: «La récompense est ici, dans le coffre du vieux Flint...» (Mac Orlan, 1983: 123).

Il y a certes de nombreuses correspondances à faire entre les deux œuvres littéraires et, comme Francis Lacassin le dit dans la préface au roman, «Mac Orlan, lui-même, invite au parallèle dans sa préface au chef-d'œuvre de Stevenson: "... Cette histoire qui demeure la mère nourricière, l'alma mater de tous les auteurs qui utilisent ce thème pour écrire des romans d'aventures. [...] Bien des écrivains ont écrit sur la condition et les exploits des bandits de haut mer, je veux dire les pirates que personne ne comprit mieux que Robert-Louis Stevenson..."» (Lacassin, op. cit.: 7). D'abord, nous avons le personnage de George Merry qui, dans L'Île au Trésor tente prendre la place de John Silver («Mais la faute à qui? Eh bien, à Anderson, à Hands, et à toi, George Merry. Et c'est toi, toi l'dernier survivant d'çette bande de comploteurs, qu'as le culot d'tous les diables de briguer la place de capitaine à ma place!» (Stevenson, op.cit.: 244-245)), mais qui deviendra capitaine de l'Étoile Matutine chez Mac Orlan: «Au service de George Merry, mon adolescence fut celle d'un Ganymède sournois et soumis» (Mac Orlan, op. cit.: 40). Toutefois, le George Merry de Stevenson est beaucoup moins cruel et menaçant que le capitaine de l'Étoile Matutine. Mac Orlan reprend les noms, les thèmes et même la forme de L'Île au Trésor, mais c'est beaucoup plus dans une logique de problématisation que de réitération simple.

Dans un premier temps, la reprise de la forme semble être la même et se pose dès l'incipit. Jim Hawkins, le narrateur principal du roman de Stevenson commence son récit ainsi: «Ils m'ont prié de coucher par écrit tous les détails relatifs à l'île au trésor, du début à la fin, sans rien omettre à l'exception de la position de l'île, pour la seule raison qu'une partie du trésor s'y trouve encore» (Stevenson, op. cit.: 37). Chez Mac Orlan, le narrateur anonyme raconte son histoire, non par sur la demande d'autres personnages, mais dans une logique rédemptrice:

C'est en écrivant sincèrement ce que l'on pense de sa propre vie que l'on obtient le pardon. En racontant mes aventures, maintenant qu'elles sont écrites et formulées définitivement sur le papier, je pense avoir débarrassé mon âme de tout ce qui pouvait m'inquiéter. Mes crimes et mes fautes, ceux et celles de mes pauvres camarades, les gentilshommes de fortune, sont ici déposés dans ce petit livre fermé comme un coffret dont chacun possède la clef (Mac Orlan, op. cit.: 23).

La référence à un coffre au trésor n'est pas sans rappeler Stevenson. Or, il s'agit d'un coffre dans lequel l'on cache les réalités non idéalisées des pirates, puisque ce que Mac Orlan entreprend, comme l'écrit Francis Lacassin, de «[ramener] ainsi les pirates à leur véritable et banale dimension: des truands pittoresques englués dans une vie végétative entrecoupée de brèves joies [...]» (op. cit.) ou, en d'autres mots, il «dépouille de leur prestige ces fameux pirates tant célébrés par les écrivains amis du pittoresque» (Cros, 1934: 451). Il problématise de la même façon le thème de l'enfance, puisque L'Île au Trésor et À bord de l'Étoile Matutine sont tous les deux narrés par un narrateur-adolescent, mais alors que chez Stevenson l'enfance se caractérise par l'imaginaire, le jeu, voire l'insouciance, Mac Orlan l'associe quant à lui à une certaine cruauté qui se poursuit même à l'âge adulte: «Les enfants sont-ils, ainsi que j'étais, des créatures sottes, incapables de choisir entre ce qu'il faut détruire et ce qu'il est bon de respecter. [...] En vérité, nous étions cruels, cruels comme de grands enfants» (Mac Orlan, op. cit., 29). C'est notamment dans un article sur l'écriture de Mac Orlan qu'Adèle Bloch mentionne cette ambiguïté des héros de l'auteur: «A mysterious feeling of discomfort is generated by the contrast between the attractive personality a hero presents to the world and his coldly murderous side, of which we catch only glimpses. Even children are capable of horrors hidden with childish ingenuity» (Bloch, 1963: 194). Ainsi, les figures, qu'elles soient liées au roman d'aventures en général ou à la piraterie en particulier, se répètent. Comme l'écrit Tadié,

Chaque romancier se distingue par le traitement qu'il fait subir à l'aventure. Les procédés peuvent bien se ressembler - c'est d'eux que l'on peut livrer une description formalisée, peu éloignée de celle du conte folklorique -, ils diffèrent par le sens que le romancier leur donne: tout au moins s'il est réellement écrivain dans le monde du feuilleton, du roman populaire, tout, au contraire se ressemble, et tout appelle le pastiche. (Tadié, op. cit.: 141)

Les films de la franchise Pirates des Caraïbes sont beaucoup plus près du roman d'aventures populaire, dont les codes ont notamment été figés par L'Île au Trésor, que du travail de Mac Orlan. Néanmoins, les figures et même certains procédés restent ainsi que le personnage de Long John Silver qui, selon Phillips, «has lived on beyond Treasure Island; passing into popular myth, his wooden leg and parrot becoming the stock motifs of pirates in children's literature ever since» (Phillips, op. cit.: 41). Nous ajoutons par le fait même qu'il a eu sa postérité jusque dans l'incarnation contemporaine du roman d'aventures, c'est-à-dire le cinéma d'action, avec le capitaine Jack Sparrow.

 

La piraterie comme lieu de l'Aventure: Codes, Archétypes et problématisation

Ainsi, de Stevenson à Mac Orlan jusqu'à Disney, nous voyons que l'univers de la piraterie reste sensiblement le même avec ses figures et ses personnages archétypaux. Mac Orlan réactualise ces archétypes en les inscrivant dans un milieu social: «The psychology of this Baudelairean background is reflected in the characters who are moved by the tides of an ironically grotesque fate, like mere marionettes. The heroes are products of a decadent milieu which they cannot control» (Bloch, op. cit.: 196). Mais, déjà, chez Stevenson, Tadié écrit qu' «[à] bord d'un navire, il n'y a que des rôles, pas de caractères compliqués. Cependant, dans chacun des grands romans de Stevenson, se détache une figure plus complexe» (Tadié, op. cit.: 121) et dans L'Île au Trésor il s'agit évident de Long John Silver. «Héros et criminel, mutilé et colossal, généreux et cruel, franc et dissimulé, traître et sauveur, il mélange les genres, jusqu'à violer les conventions du récit: au lieu de mourir, comme le doit un méchant, il disparaît, signe de son ambiguïté» (Ibid.: 122). Plus d'un siècle plus tard, cette figure, bien que problématique, est ressuscitée par Disney.

Malgré cette constante réitération, bien que certains auteurs comme Mac Orlan aient cherché à renouveler leur approche de cet univers, l'intérêt pour les histoires de pirates reste. Les films de la franchise Pirates des Caraïbes respectent d'ailleurs presque entièrement les codes du roman d'aventures tels qu'ils ont été élaborés dans L'Île au Trésor. Selon Matthieu Letourneux, «[deux] éléments semblent être essentiels au roman d’aventures: l’accent mis sur une action violente et inhabituelle et le rapport à l’exotisme (aussi bien historique que géographique)» (Letourneux). Les pirates sont des personnages violents et cruels de par leur nature, bien que certaines productions pour la jeunesse enlèvent à ces récits l'horreur qui y est liée. Si Stevenson passe rapidement sur les détails liés à la violence, Mac Orlan tente de restituer la réalité des gentilshommes de fortune. Cette division est liée notamment à leur conception divergente de ce qu'est l'Aventure, nous le verrons plus loin. Quant à l'exotisme, Tadié écrit que

[le] rapport du roman d'aventures avec l'Histoire est confus: il lui faut une différence, qu'apporte le temps passé, comme les voyages. Décrire le passé, ou les pays exotiques, n'est pas son but, seulement un moyen. Quand situer un roman de piraterie, sinon au XVIIIe siècle? Mais ni Stevenson, ni Mac Orlan ne se confondent avec le capitaine Johnson, pseudonyme de Daniel Defoe, auteur de leur source commune, The life of notorious pirates. (Tadié, op. cit.: 8-9)

De cette façon, le monde de la piraterie impose parfaitement cette distance par son triple exotisme (spatial, temporel et social), ce qui en fait le lieu de l'aventure par excellence.

L'aventure pour Stevenson est d'abord un jeu, un jeu enfantin: «L'aventure stevensonienne n'est donc pas métaphysique; elle est littéraire: [...] "Le roman est pour l'adulte ce que le jeu est pour l'enfant; c'est là qu'il change l'atmosphère et le contenu de sa vie; et quand le jeu s'harmonise avec son imagination au point qu'il peut s'y donner avec tout son cœur, [...] le roman s'appelle roman d'aventures"» (Ibid.: 145). Jim Hawkins, malgré les dangers qui peuvent le menacer, ne cesse de jouer: «Néanmoins, cela restait un jeu de gamins, dont je pouvais espérer me sortir à mon avantage, face à ce vieux marin blessé à la cuisse» (Stevenson, op. cit.: 222). Or, c'est l'omniprésence du danger qui fait l'intérêt, selon Stevenson (Porée, op. cit.: 88), du roman d'aventures: le danger de la mort bien qu'on y passe rapidement sur l'horreur de la mort, contrairement au roman de Mac Orlan.

Avec À bord de l'Étoile Matutine, l'auteur accentue, en plus de l'exotisme géographique et temporel, un exotisme social intrinsèquement lié aux manifestations de la violence:

Mac Orlan was particularly interested in the plight of the many unemployed tramps and prostitutes-starving denizens of the big city slums. Alcoholic misery easily leads these individuals into criminal activities. Our author includes murder, manhunt, erotic deviations, sadism, and gang brutality in his image of a chaotic epoch. He excels in recreating the street jungle, where beasts of prey devour each other. In his novels he paints a world which falls prey to the sovereign machine and the blind collective forces which are also a form of mechanization devoid of intelligence. (Bloch, op. cit.: 192)

Cet univers est lié à la conception de l'aventure selon l'auteur, qui divise en deux possibilités les manières de vivre l'Aventure. D'une part, il y a l'aventurier actif, «un pauvre diable qui mène une vie pleine de détails sordides, de dangers et de souffrances et qui n'a guère le loisir d'apprécier les détails pittoresques de sa vie et de son milieu» (Cros, op. cit.: 451) s'opposant à l'aventurier passif, «qui, à l'abri du danger, vit par l'imagination les aventures de ses héros et se construit un monde irréel où il se réfugie pour déguster à loisir le subtil poison littéraire» (idem). Le héros du roman d'aventures classique, comme Jim Hawkins, serait d'abord et avant tout un aventurier passif: l'aventure est synonyme de rupture avec le quotidien (Tadié, op. cit.: 12-13) et la fin du roman coïncide avec un retour à l'équilibre: «[...] je vivais au manoir presque en prisonnier, mais la tête pleine de doux songes, ne rêvant que d'aventures en mer et d'îles étranges et merveilleuses. [...] Mais jamais au cours de mes songes, je n'imaginai vivre dans l'île des aventures aussi étranges et tragiques que celles que la réalité devait nous réserver» (Stevenson, op. cit.: 84-85). Chez Mac Orlan, et d'une certaine manière aussi dans Pirates des Caraïbes, l'aventurier est actif, il est le pirate, il ne subit pas leur intrusion. D'un autre côté, il y a dans les images de l'île de Tortuga, qu'on peut voir dans les films de Disney, un rappel de cet exotisme social présent chez Mac Orlan.

Néanmoins, l'aventure dans ces œuvres, qu'elle soit vue positivement ou négativement, arrive lorsqu'il est possible de sortir de la société, de se libérer de ses lois. Il s'agit d'«échapper à la contrainte d’une morale trop oppressante» (Letourneux). L'univers de la piraterie permet ce revirement, il brouille les frontières entre bien et mal, encourage l'ensauvagement. Selon Phillips, «[part] of the enduring appeal of pirates lies in their inherent disobedience as anarchic adults operating outside society, implicitly on the side of children in their rebellion against their authority figures, such as parents and teachers, but there is more to it than this» (Phillips, op. cit.: 54). C'est ce qui explique, entre autres, malgré les doutes que pouvaient avoir les producteurs de Disney au sujet de Pirates des Caraïbes, la raison pour laquelle cette franchise a créé un renouvellement de l'intérêt pour les pirates au début du XXIe siècle. Cet univers d'aventures trouve toujours son écho dans la société contemporaine, contrairement au western par exemple, et c'est parce que l'idée de se libérer de l'aliénation de la société reste, avec le pavillon noir et le coffre au trésor.

 

Fantastique et modernité

La sortie des trois premiers films de la franchise de Disney fait réellement office de résurrection pour les pirates. Selon Phillips, elle

have probably had the greatest global impact and although they do not directly reference the literary tradition, the rise in the number of pirate-themed children's books in the twenty-first century coincides with the release of [the films]. [...] Now, as ever, the relationship between pirate fact and pirate fiction is complex, as these non-fiction texts seek to explode the myths perpetuated in fiction since the days of Defoe and Stevenson. Over 300 non-fiction titles on the subject of pirates have been published in the past ten years, a significant increase from the twentieth-century. (Ibid.)

Bien que ses thèmes aient peu évolué depuis plus d'un siècle, comme nous l'avons vu précédemment, Pirates des Caraïbes amène une nouvelle dimension aux romans de Stevenson et Mac Orlan: le fantastique. Dans la série de Disney le fantastique se déploie contre la modernité3 et articule un discours autoréférentiel autour du statut culturel de la figure du pirate en exploitant deux thèmes reliés au fantastique: la résurrection et l'immortalité.

L'idée de la résurrection et du mort-vivant est présente chez Mac Orlan dans deux chapitres qui ont été ajoutés à l'édition de 1927. Ceux-ci font référence à la légende du Hollandais-Volant, navire-fantôme autour duquel tourne notamment l'intrigue principale de Dead Man's Chest (2006) et At World's End (2007):

Le matelot mort avec sa propreté de vieil ivoire et les lèvres retroussées, riait sans avoir envie de rire. Il nous parut embaumé, ou plus exactement boucané par les sels de la mer; il sentait l'iode et une indéfinissable odeur de décomposition inachevée. [...] Et il dit: «Je suis Nicolas Moïse, de Rotterdam. J'ai deux cents ans et je suis le plus jeune sur le gaillard d'avant du bateau damné qui parcourt sans fin les routes marines [...]» (Mac Orlan, op. cit.: 139-140)

Outre cette référence intertextuelle, l'idée de résurrection peut être vue comme une métaphore de la résurrection du pirate dans l'imaginaire culturel et collectif. En effet, dans Pirates des Caraïbes, il n'y a que les pirates et les bateaux, considérés comme le symbole et le moyen pour accéder à la liberté, qui reviennent à la vie. Dans At World's End, Barbossa s'adresse à Sparrow ainsi: «Still thinking of running Jack? You think you can outrun the world? You know, the problem with being the last of anything, by and by there be none left at all.» et Jack lui répond: «Sometimes things come back, mate. We're living proof, you and me.» (At World's End, 1: 01: 17). Dead Man's Chest et At World's end mettent en scène un crépuscule de la piraterie, mode de vie menacé d'extinction.

Ces pirates, essentiellement des créations de l'imaginaire, se battent contre une modernité qui veut les voir disparaître: c'est là la dynamique cachée derrière les éléments fantastiques. Au début de Dead Man's Chest, Lord Beckett dit: «Jack Sparrow is a dying breed. The world is shrinking, the blank edges of the map filled in. Jack must find his place in the New World or perish.» (Dead Man's Chest, 11: 27). Ce «New World» est celui de la modernité, mais aussi celui de la société et de ses lois. Le pirate, en tant que figure de l'aventure, doit alors se battre contre cette société qui veut lui enlever son espace de jeu, si l'on se réfère à Stevenson. Cet espace est celui de la mer et, par l'acquisition du cœur de Davy Jones, par exemple, ce sera l'annihilation de l'aventure. De plus, après être revenus à la vie, les héros de Pirates des Caraïbes ont pour quête principale celle de la vie éternelle, synonyme du désir de perpétuer l'aventure pirate dans l'imaginaire collectif: «It's funny what a man would do to forestall his final judgement.» (Dead Man's Chest, 15: 45). Pirates des Caraïbes participe alors de ces procédés utilisés pour retarder la fin des histoires de pirates. Il s'agit alors d'un discours se développant à travers la mise en récit de ces thèmes et qui appelle à la préservation et au désir de continuation de cet imaginaire. Par la réitération des figures déjà présentes chez Stevenson (le perroquet, l'île déserte, le coffre au trésor qui ne contient non plus de l'or, d'ailleurs, mais un gage de liberté contre la modernité) et qui se problématisent avec Mac Orlan (description des bas-fonds, de la misère), Pirates des Caraïbes renforce cet imaginaire tout en le ressuscitant; ces films célèbrent le retour et l'immortalité de l'aventure comme anti-société.

Les «nine pieces of eight!» répétées par Flint le perroquet de L'Île au Trésor reviennent dans At World's End, le Hollandais-Volant hante l'imaginaire et fascine et la figure célèbre de Long John Silver trouve une deuxième vie en la personne de Jack Sparrow. Plus d'une centaine d'années séparent ces deux œuvres et pourtant, les codes et les archétypes restent les mêmes: cette continuation reste le symptôme d'un besoin de fuite de la société et ses lois contraignantes, fuite qui se fera par l'aventure que même l'industrialisation et la modernité n'a pas réussi à éradiquer. Parce qu'elle incarne l'envers total du quotidien, la piraterie par son exotisme social, géographique et temporel, par son absence de morale et, par conséquent, sa violence et sa fourberie restera, tant que le quotidien sera contraignant socialement, un univers fascinant. L'aventure, mais aussi plus particulièrement la piraterie, c'est ce qui permet d'échapper à la loi du père, l'ordre symbolique, pour accéder à un nouvel ordre social, régi par des codes différents. Dans L'Île au Trésor, «comme le père du narrateur est décédé dans le même chapitre, celui-ci se trouve dans la situation favorite du jeune héros stevensonien: enfant sans père, prêt pour l'aventure» (Tadié, op. cit.: 116). Il retrouve en la personne de Long John Silver une nouvelle figure paternelle: «Vois-tu, Jim, maintenant que t'es ici, autant que j't'dise le fond d'ma pensée. Je t'ai toujours apprécié, vu qu't'es un garçon qu'a pas froid aux yeux, et qu't'es mon portrait craché, du temps où j'étais jeune et fringant» (Stevenson, op. cit.: 233). De la même façon, le narrateur de À bord de l'Étoile Matutine voit en la personne de Mac Graw une sorte de figure paternelle, qui lui apprend à lire, l'initie au monde des gentilshommes de fortune. C'est là l'univers des pirates régit par un code, des lois, mais qui ne sont pas les lois de la société: «Arrête ton boniment, John Silver, dit-il. Ç't'équipage t'a remis la marque noire, suite à un conseil qu'était dans les règles. Tu dois la r'tourner, dans les règles, pour voir ç'qu'y a écrit derrière» (ibid.: 243). Cette dynamique est évidente dans The Curse of the Black Pearl lorsque William Turner, bien qu'adulte, se fait initier au monde de la piraterie par un père symbolique, Jack Sparrow, de la même façon que Jim Hawkins sera initié au monde des pirates. Or, pour Jim, son initiation le mène au monde des adultes dans lequel il refuse l'aventure alors que William Turner restera pirate, piégé dans le monde de l'enfance et y restera pour l'éternité.

 

Bibliographie

Corpus primaire

Mac Orlan, Pierre, À bord de l'Étoile Matutine, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1983[1934], 213p.

Stevenson, Robert-Louis, L'Île au Trésor, Paris, Gallimard, coll. «Folio classique», 2000[1883], 313p.

 

Corpus secondaire

Bloch, Adèle, «Pierre Mac Orlan's Fantastic Vision of Modern Times», Modern Langage Quarterly, vol. 24, no. 2, 1963, pp. 36-56.

Cros, Roger, «Pierre Mac Orlan et le Romantisme Moderne», The French Review, Vol. 7, No. 6, 1934, pp. 445-457.

Deschamps, Hubert, Pirates et Flibustiers, Paris, Presses universitaires de France, 1962, 121p.

Lacassin, Francis, «Une Ile au Trésor sans trésor, sans perroquet et sans espoir», À bord de l'Étoile Matutine, op. cit., pp. 7-18.

Letourneux, Matthieu, Présentation générale, [en ligne] URL: www.roman-daventures.com, (page consultée le 9 décembre 2013).

Mac Orlan, Pierre, La Photographie et le Fantastique social, [en ligne]: URL http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http://www.comitemacorlan.com/fr/introuvables.php?id_texte=52&title=%C2%AB%C2%A0La%20photographie%20et%20le%20fantastique%20social%C2%A0%C2%BB, (page consultée le 9 décembre 2013).

Phillips, Alexandra, «The Changing Portrayal of Pirates in Children's Literature», New Review of Children's Literature and Librarianship, vol. 17, no. 1, 2011, pp.36-56.

Porée, Marc, L'Île au Trésor, Paris, Gallimard, coll. «Folio classique», 2000[1883], 313p.

Tadié, Jean-Yves, Le Roman d'aventures, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 2013[1982], 219p.

 

  • 1. Nous n'étudierons seulement que les trois premiers films de la série.
  • 2. Phillips ajoute même que «Stevenson uses the reputation of the real pirate to establish Captain Flint in the same tradition, despite the fact that Flint is dead before the narrative begins. Flint lives only in the collective memories of the other characters in the text but his reputation is important because, in the continuity of the pirate tradition, it reflects on Silver, his successor.» (op. cit., p. 40.).
  • 3. Mac Orlan a quant à lui développé ce qu'il nomme le «fantastique social», un fantastique qui arriverait par la modernité. Il écrit que «[le] fantastique social de notre époque est le produit de la grande aventure industrielle.» (Mac Orlan, Pierre, La Photographie et le Fantastique social, [en ligne]: URL http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http://www.comitemacorlan.com/fr/introuvables.php?id_texte=52&title=%C2%AB%C2%A0La%20photographie%20et%20le%20fantastique%20social%C2%A0%C2%BB, (page consultée le 9 décembre 2013).). Bloch précise ce terme, qui restera toujours assez vague, en écrivant que «Mac Orlan coins the word “le fantastique social” for the bizarre and satanic atmosphere which permeates the novels devoted to the cataclysms of our times.» (Bloch, op. cit., p. 192.).