The Grandmaster, tradition et transtextualité

The Grandmaster, tradition et transtextualité

Soumis par Julien Guy-Béland le 28/01/2014
Institution: 
Catégories: Esthétique

 

Dans une entrevue accordée à la suite de la sortie de son film The Grandmaster, Wong Kar-wai mentionne au sujet de la philosophie du film:

C’est très difficile de faire un film de kung-fu original, tant il y a déjà de nombreux films dans ce genre. Mais la plupart de ces films se concentrent sur la victoire ou la défaite, la revanche, savoir qui est le meilleur combattant… Je pense qu’il était temps d’ouvrir une nouvelle page, et de ne pas faire un film uniquement sur les talents des combattants, mais sur l’origine de ces talents, sur la philosophie qu’ils cachent. À mon sens, ce qui rend The Grandmaster unique dans l’histoire du cinéma de kung-fu, c’est le fait qu’il se concentre sur un aspect primordial de l’univers des arts martiaux: l’héritage, ce que les générations antérieures veulent transmettre aux générations les plus jeunes. C’est le centre du film.1

Nous tenterons ici d’illustrer, d’abord à partir des théories de relations transtextuelles élaborées par Gérard Genette dans Palimpsestes, puis en analysant spécifiquement certaines séquences du film, comment Wong Kar-wai transpose certains codes du cinéma de Kung Fu traditionnel de manière à subvertir les ambitions habituelles du genre ce qui lui permet d’aborder, à travers un genre très typé, certaines thématiques qui lui sont personnellement chères, notamment grâce à la notion d’héritage2.

Dans Palimpsestes, Gérard Genette définit la transtextualité comme «tout ce qui met [un texte] en relation, manifeste ou secrète avec d’autres textes3». Ainsi, il classe les relations transtextuelles en cinq catégories: intertextualité, paratextualité, métatextualité, hypertextualité et architextualité. Pour analyser l’œuvre de Wong Kar-wai, ce sont les notions d’architextualité et d’hypertextualité qui nous éclaireront. Genette décrit l’architextualité comme le type de relation transtextuelle le plus abstrait et le plus implicite. Cette relation de nature taxinomique se fait selon lui de manière muette parce que le texte n’a généralement pas conscience de sa qualité générique:

À la limite, la détermination du statut générique d’un texte n’est pas son affaire, mais celle du lecteur, du critique, du public, qui peuvent fort bien récuser le statut revendiqué par voie de paratexte: ainsi dit-on couramment que telle «tragédie» de Corneille n’est pas une vraie tragédie, ou que le Roman de la Rose, n’est pas un roman.4

De la même manière, on pourrait dire que The Grandmaster n’est pas vraiment un film de Kung Fu taxinomiquement parlant. Pour le démontrer, tournons-nous d’abord vers deux définitions sommaires du genre. Daniel Lopez, dans Films by Genre élabore celle-ci:

[Kung Fu films] success in the West may be attributed in part to the extraordinary performance of Bruce Lee […]. Another reason for the films’ success is their fast-paced action, violent tone, and novelty of approach to the old plot device of an unassuming hero confronting a powerful vilain. The essence of the kung fu film resides in the beautifully  choreographed combats in which a single hero or heroine faces untold odds and great numbers of adversaries armed with all sorts of unusual weapons […]. The plots of the kung fu films frequently center on the theme of revenge, the hero often having to accept reluctantly the task of avenging some injustice or the death of his/her mentor, teacher, family or friends. The way in which he/she undertakes this honorable act of revenge provides the substance for many kung fu films.5

Dans Écoles, genres et mouvements au cinéma, Vincent Pinel abonde dans le même sens: «Les films d’arts martiaux s’embarrassent rarement d’une intrigue compliquée. Ils dépeignent un univers manichéen où les forces du Bien combattent sans ambiguïté les forces du Mal. Les jeux subtils de la complexité dramatique ou psychologique n’y ont pas de place6». Face à ces définitions, plusieurs aspects peuvent nous amener à considérer le film de Wong Kar-wai comme une transposition du genre du cinéma de Kung Fu. Sous cet angle, The Grandmaster devient donc le résultat d’une opération hypertextuelle consistant à transformer l’architexte de manière à ce que ce dernier soit subverti par l’hypertexte qui «[s’y] greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire7».

Effectivement, The Grandmaster reprend plusieurs éléments architextuels qu’on retrouve dans la définition de Daniel Lopez (notamment les combats, les héros, la vengeance, les mentors et même, plus spécifiquement, Bruce Lee) que Wong Kar-wai soumet à sa vision particulière. Ainsi, sa manière d’aborder le cinéma de Kung Fu s’apparente un peu à la manière dont il traite le cinéma de wuxia dans Ashes of Time. De ce film, Stephen Teo dit:

The view of Wong as a post-modern artist hinges on his tendency to defragment his narratives into clusters of characters and mini-plots, into Puig-like ‘episodes’, all of which flow into a Borgesian labyrinth. Wong draws on a variety of influences, both cinematic and literary, but once they have passed through his hands, these influences are transformed, becoming tenuous and indiscernible.8

En les soumettant à sa vision postmoderne labyrinthique, Wong Kar-wai altère la nature des éléments architextuels du cinéma de Kung Fu au point où une définition comme celle de Vincent Pinel ne peut plus être appliquée à son film: l’intrigue, loin de s’en tenir à un simple combat entre le Bien et le Mal, n’est plus marquée par un rythme rapide et des actions violentes, mais bien par une trame narrative déconstruite qui profère à l’œuvre un rythme lancinant. Ainsi, le récit se complique et laisse place au développement psychologique plus complexe des personnages; en particulier celui du personnage principal Ip Man dont le principal ennemi ne semble pas incarné par une figure humaine spécifique, mais plutôt par la figure évanescente qu’est le temps, l’Histoire même, qui lui fait subir de multiples drames personnels9. Ce faisant, le récit d'une vengeance marqué par un certain manichéisme (l’opposition entre Gong Er et Ma san) n’est qu’une trame parmi d’autres qui s’avère être le prétexte pour aborder un autre sujet plus complexe qui marque tout le film: le rapport au futur et à l’héritage.

Ce rapport particulier entre les personnages et le temps nous est illustré dès la séquence d’ouverture. Bien qu’elle semble complètement détachée du reste de la trame narrative, cette dernière comble son rôle d’incipit dans la mesure où elle contient les indices nécessaires à l’élaboration des principales hypothèses de lecture propre au film. Il s’agit d’une des seules séquences mettant en scène Ip Man combattant plusieurs ennemis à la fois; l’identité d’aucun d’entre eux ne nous sera, par contre, jamais révélée et on ne connaîtra ainsi jamais la raison derrière le combat. Le premier plan montre l’ombre d’une clôture à l’architecture baroque reflétée sur un sol inondé par la pluie ce qui profère à ce dernier une apparence mouvante. Puis, après un gros plan au ralenti montrant la pluie frappant le sol, les ombres des combattants qui courent vers Ip Man apparaissent. Elles se dessinent sur le sol et le dissimulent. Ce court plan est suivi par un close-up des corps noirs des combattants; l’espace les entourant est envahi par l’eau. Ip Man apparaît finalement; ses ennemis se placent devant lui en position de combat; beaucoup sont armés. On pourrait croire, à la manière dont nous sont présentés les personnages, que nous sommes sur le point d’assister à une scène de combat comme on en retrouve dans tous les films de Kung Fu. Effectivement, le combat en tant que tel est assez typé et semble respecter un bon nombre des caractéristiques architextuelles propre au genre: le héros terrasse complètement ses adversaires armés jusqu’aux dents puis, à la fin, doit faire face à un adversaire plus coriace qu’il terrasse aussi. Or, ce qui entoure ces personnages, c’est-à-dire, la pluie, la clôture et le sol inondé profèrent une tout autre dimension à la séquence. Bamchade Pourvali dans son analyse de In the Mood for Love et de 2046 avance ceci: «Si In the Mood for Love est un film classique dans sa recherche d’unité formelle, 2046 est un film baroque au sens que l’on donne habituellement à cet adjectif: irrégulier, inégal, bizarre. […] Le diptyque fait ainsi dialoguer le classique et le baroque10». Dans The Grandmaster, on semble utiliser la dimension hypertextuelle du récit pour mettre en scène un tel dialogue, et ce d’emblée dans la séquence d’ouverture. C’est ainsi qu’un combat de Kung Fu classique se déroule sur un fond baroque. Après le plan montrant les combattants face à Ip Man, on nous montre un autre gros plan du sol inondé avant de faire un jump cut. On retrouve alors Ip Man, de dos, accoudé à un bar qui nous décrit sa vision du Kung Fu: «Don’t tell me how well you fight, or how great your teacher is or brag about your style. Kung Fu – two words. Horizontal. Vertical. Make a mistake – horizontal. Stay standing and you win11». Il peut sembler étonnant que, dans un film axé sur l’importance de l’aspect héréditaire des arts martiaux, le personnage prononce un tel discours; or, ici, Wong Kar-wai ne cherche pas à discréditer la relation élève/maître, mais plutôt à remettre en question la vision romancée qu’en dépeint habituellement le cinéma de Kung Fu.

Pour le comprendre, continuons l’analyse de la séquence. Pendant que Ip Man partage sa définition du Kung Fu, la caméra se déplace vers la gauche ce qui amène le personnage à se retrouver complètement dissimulé derrière un mur. Ce n’est que lorsqu’il prononce finalement le mot Kung Fu qu’une coupe franche survient et qu’on nous dévoile pour la première fois son visage à l’aide d’un gros plan. D’une certaine manière, on peut lire cet insert comme une métonymie illustrant le destin du personnage: lorsqu’à la fin du film Ip Man est menacé d’être complètement effacé par les aléas du temps qui lui ont tout fait perdre, la chose qui lui permet de ne pas sombrer totalement dans l’oubli est la technique wing chun qu’il transmet à ses élèves. Or, il est aussi important de considérer la manière dont le personnage décrit ici le Kung Fu. Il s’agit d’une chose à deux dimensions comme une image ou un texte; quelque chose qui, par le fait même, se lit et se transmet un peu à la manière d’une œuvre d’art. Durant le combat de l’incipit, on insiste d’ailleurs sur cet aspect horizontal/vertical du Kung Fu. On le remarque notamment par le chapeau de Ip Man qui vient couper la pluie horizontalement et le chariot qui glisse sur l’horizontal avant de s’effondrer sur la verticale. Les personnages sont tous vêtus de noir comme si chacun d'eux était «un signe réparti sur une page12» qu’incarne le décor; ainsi cette page est mouvante, irrégulière, baroque; elle recèle plusieurs possibilités qui s’effacent au fur et à mesure que le combat se dessine. Au final, la clôture baroque s’effondre. L’épisode a été écrit.

La manière dont le générique d’ouverture nous avait été présenté nous laissait déjà présager cette dimension particulière du film alors que les noms s’inscrivaient sur des surfaces rappelant certaines peintures expressionnistes abstraites. Dans son ouvrage sur Wong Kar-wai, Thierry Jousse décrit le travail du réalisateur ainsi: «On pourrait dire que, tel un écrivain, Wong Kar-wai travaille par approximations successives et surtout par ratures multiples, comme si le fait naissait d’un effacement progressif d’un certain nombre de ses possibles13». En se basant sur ce fait et sur ce que nous ont révélé le générique et l’incipit, on pourrait dire que The Grandmaster revêt une certaine dimension réflexive. Effectivement, bien qu’il ne soit jamais explicitement question de cinéma14, la manière dont Kar-wai dépeint ici les différentes destinées des grands maîtres s’apparente beaucoup à la manière dont Thierry Jousse dépeint le processus créatif du réalisateur. Durant la production, le titre du film a changé à quelques reprises. À un certain moment, Wong Kar-wai a pensé le mettre au pluriel, mais suite aux conseils de son fils, il s’est finalement ravisé et a opté pour le singulier. Il explique cela ainsi: «[My son] said "You should call the film The Grandmaster, because it's not about the number of grandmasters in the film, it's really about the state of mind of being a grandmaster."15». Ainsi, on peut voir les histoires de chacun des grands maîtres comme différents aboutissements possibles d’un même état. En conclusion, seul Ip Man arrive vraiment à s’inscrire dans l’Histoire en transmettant son héritage; les autres finissent par disparaître complètement: ils sont rayés comme les possibilités qui s’effacent progressivement à travers le temps16.

Or, ici, Wong Kar-wai déjoue encore les codes du genre et, si Ip Man réussit là où les autres échouent, cela semble être en partie parce qu’il est un personnage passif qui subit les choses plutôt qu’un personnage actif qui tente de les changer. Ce qui mène à la perte de Gong Er est sa mission de vengeance; à celle de Ma San, son arrogance qui l’amène à vouloir dépasser son maître trop vite; à celle de «The Razor», l’abandon de son devoir envers le parti nationaliste qui le condamne à mener une existence sous le radar. Ip Man, quant à lui, se laisse porter par le temps. Tout au long du film, il ne se bat que lorsqu'on le défie. Ce n’est pas lui qui décide de combattre le père de Gong Er. Au contraire, il éprouve même, au départ, une certaine réticence envers l’éventualité d’être choisi comme le représentant du Sud pour ce combat. Un des seuls désirs dont il témoigne est l’attirance qu’il éprouve envers Gong Er. C’est d’ailleurs ce qui lui fait perdre son duel contre elle: alors qu’il réussit à la faire tomber dans le vide, il tente de la rattraper et celle-ci profite de l’occasion pour l’entraîner dans sa chute et prendre le dessus17.

Gardant cela en tête, il est intéressant de considérer l’objet utilisé pour représenter cette liaison amoureuse. Il s’agit d’une chose en apparence minuscule et anodine: le bouton de la manche d’un manteau que Ip Man finit par accrocher au mur de sa chambre comme s’il s’agissait d’un cadre contenant une photo. Or, cet objet ne peut tenir le rôle que tiennent les autres photos présentées tout au long du récit parce que, contrairement à ces dernières qui représentent certains détails biographiques importants des personnages ou des événements historiques, il n’a de signification que pour Ip Man et Gong Er. Ainsi, lorsqu’ils disparaîtront, il sera dépourvu de toute dimension symbolique et leur histoire tombera dans l’oubli18. Contrairement à beaucoup d’autres éléments qui sont basés sur la vie réelle de Ip Man, cette liaison a été inventée de toutes pièces par Wong Kar-wai. On peut donc la voir comme une représentation de ces événements très personnels qui marquent la vie de tous, mais qui, à travers le temps, ne peuvent que s’effacer. Le désir d’apprendre la technique des 64 mains est probablement lié à l’ambition de faire de cette relation quelque chose de plus grand, de plus important; il s’agit par contre d’un désir impossible. Les 64 mains sont quelque chose qui ne se transmet qu’à travers la famille, que par l’héritage19 et, comme la relation entre Gong Er et Ip Man tient du rendez-vous manqué, elle ne peut combler ce rôle20.

«Is this street of school all the Martial World has come to be?21», dit Gong Er lors de sa dernière rencontre avec Ip Man. Ce semble être ce que tout le film tend à démontrer. Sur le dernier plan montrant le héros, ce dernier n’est plus qu’une ombre; en voix hors champ, on l’entend dire: «The martial arts belong to all. We’re all on the same quest. It all comes down to those two words – Horizontal. Vertical22». Dans ce film, Wong Kar-wai utilise le Kung Fu comme une métaphore illustrant le rapport que chaque être entretient avec le temps et la tradition. Ainsi, il transpose les codes d’un genre très traditionnel et les soumet à sa vision labyrinthique pour illustrer comment et à quel prix un homme en arrive à laisser sa marque à travers le temps. Les derniers plans montrent «la figuration architecturale d’un temps immémorial, d’un temps archaïque qui excède la durée humaine, une sorte d’ouverture à la métaphysique sans connotation religieuse23»: le temple dans lequel Gong Er est allée pour communiquer avec son père. Puis, sur un fond noir, des écrits nous répètent ce que Ip Man vient de nous dire: «Ip Man was a huge inspiration to others. Because of him, the torch of Wing Chun has been carried around the world24». Il s’agit de la marque que l’homme a réussi à laisser, ce qui a fini par le dépasser et s’inscrire sur les pages de l’Histoire.

 

Bibliographie

GENETTE, Gérard, Palimpsestes: La littérature au second degré, Paris, Seuil, coll. «Poétique», 1982.

JOUSSE, Thierry, Wong Kar-wai, Paris, Cahiers du cinéma, coll. «les petits Cahiers», 2006.

KAR-WAI, Wong, The Grandmaster, 2013.

LOPEZ, Daniel,  Films by Genre: 775 Categories, Styles, Trends and Movements Defined with a Filmography for Each, Jefferson, McFarland &  Company Inc., 1993.

LOPEZ, Victor, Interview: Wong Kar-wai pour The Grandmaster, www.eastasia.fr, 16 mars 2013.

PINEL, Vincent, Écoles, genres et mouvements au cinéma, Paris, Larousse, 2000.

POURVALI, Bamchade, Wong Kar-wai, la modernité d’un cinéaste asiatique, Paris, Éditions de l’Amandier, coll. «Ciné-création», 2007.

TEO, Stephen, Wong Kar-wai, London, BFI Publishing, coll. «World Directors», 2005.

VÉLEZ, Diva, Interview: Wong Kar-Wai, Tony Leung And Zhang Ziyi Talk The Grandmaster, www.twitchfilm.com, 23 aout 2013.

 

 

  • 1. Wong Kar-Wai, propos recueillis par Victor Lopez, Interview: Wong Kar-wai pour The Grandmaster, www.eastasia.fr, 16 mars 2013.
  • 2. Nous nous baserons ici sur la version originale du film soit celle qui dure 130 minutes.
  • 3. Gérard Genette, Palimpsestes: La littérature au second degré, Paris, Seuil, coll. «Poétique», 1982, p.7.
  • 4. Ibid., p. 11.
  • 5. Daniel Lopez,  Films by Genre: 775 Categories, Styles, Trends and Movements Defined with a Filmography for Each, Jefferson, McFarland &  Company Inc., 1993, p.  168.
  • 6. Vincent Pinel, Écoles, genres et mouvements au cinéma, Paris, Larousse, 2000, p. 29.
  • 7. Gérard Genette, op.cit., p.11.
  • 8. Stephen Teo, Wong Kar-wai, London, BFI Publishing, coll. «World Directors», 2005,  p. 75.
  • 9. Cela est expliqué dès le début du film alors que durant un court flashback montrant le jeune Ip Man recevant une ceinture des mains de son maître, le héros explique par voix off: «I lived through dynastic times, the early republic, warlords, Japanes invasion and civil war. Finally, I came to Hong Kong. What kept me going was the martial code of honor». Toute cette séquence, sauf quelques gros plans montrant le visage du maître et la ceinture, est filmée à travers une petite ouverture dont les contours noirs obstruent la majeure partie de l’écran. Un peu comme si tout du souvenir, sauf ce qui a été transmis du maître à l’enfant, face à ce qu’on subit à travers le temps, est destiné à disparaître. La séquence se finit d’ailleurs par un mouvement de la caméra vers le bas qui crée un noir total. Wong Kar-wai, The Grandmaster, 2013, 00:06:16.
  • 10. Bamchade Pourvali, Wong Kar-wai, la modernité d’un cinéaste asiatique, Paris, Éditions de l’Amandier, coll. «Ciné-création», 2007, p. 39.
  • 11. The Grandmaster, 00:01:48.
  • 12. Thierry Jousse, Wong Kar-wai, Paris, Cahiers du cinéma, coll. «les petits Cahiers», 2006, p. 36.
  • 13. Ibid., p. 29-30.
  • 14. Certains détails semblent par contre tisser un lien assez concret entre les arts martiaux et le cinéma (par exemple, on pourrait voir le fait que les spectateurs regardent les combats dans le bordel à travers des vitres comme renvoyant à l’écran de cinéma). Une scène assez curieuse, qui semble elle aussi complètement détachée de la trame narrative, met en scène le personnage de «the Razor» et un personnage venu lui quêter de l’argent. Celle-ci s’ouvre sur un plan montrant le reflet du bâtiment dans lequel on est sur le point d’entrer miroitant dans une flaque d’eau. On semble par la suite continuer d’insister sur l’aspect miroir de la séquence alors qu’un plan montre, d’un côté, la bande de «the Razor» en blanc, puis, le plan suivant, la bande de l’autre personnage en noir placée symétriquement de l’autre côté de la pièce. Deux détails peuvent laisser présager qu’une partie de la réflexion est ici liée, du moins en partie, au cinéma: premièrement, le personnage venu quêter dit aimer les yeux de «the Razor» parce qu’ils lui rappellent sa mère morte qui lui manque tant puis, suite à un combat dont l’enjeu est de clouer l’adversaire à un siège («See that chair over there? If I can’t plant your ass there, keep the cash.»), ce dernier décide de devenir l’élève de «the Razor». Comme si, grâce à son art, celui dont on envie les yeux (la vision, parce qu’elle nous permet de replonger dans nos souvenirs) réussit à nous asseoir sur une chaise et nous faire la démonstration de ses talents. Ainsi, on désire apprendre de lui et il y a transmission. The Grandmaster, 01:40:31.
  • 15. Wong Kar-Wai, propos recueillis par Diva Vélez, Interview: Wong Kar-Wai, Tony Leung And Zhang Ziyi Talk The Grandmaster, www.twitchfilm.com, 23 aout 2013.
  • 16. La manière dont Wong kar-wai décrit «The Razor» semble corroborer cette hypothèse: «En fait, c’est un antagoniste, un antidote à Ip Man. Le même sentier, mais des aboutissements différents. The Grandmaster n’est pas un film sur un personnage, mais sur un état d’esprit et il y a de nombreuses possibilités à partir de là.» Victor Lopez, loc.cit.
  • 17. The Grandmaster., 00:43:45.
  • 18. Le même sort est réservé à la mission vengeresse de Gong Er. Ainsi, l’événement qui, dans un film de Kung Fu traditionnel, représenterait la trame principale du récit est ici présenté comme ce qui condamne la famille Gong à l’oubli. Une séquence similaire à celle qui conclut In the Mood for Love - séquence aussi reprise dans 2046 – le laisse présager. Gong Er se retrouve alors dans un temple et chuchote dans un trou pour demander à son père s’il accepte qu’elle le venge. Thierry Jousse, dans son analyse de la séquence de In the Mood for Love, voit ce trou comme «un trou dans le temps, une issue pour sortir de l’infernale chronologie, pour s’engouffrer dans le néant, pour se délester d’un souvenir trop encombrant». Ici, il semble revêtir une signification similaire. Ainsi, entre le trou minuscule et le temple monumental, la figure humaine se fond dans l’espace et le temps et, lorsqu’elle quitte le temple, Gong Er n’est déjà plus qu’une ombre. Elle finira ses jours enfermée dans sa chambre, à fumer de l’opium et à répéter des séquences de Kung Fu dans sa tête, avant de mourir et de disparaître complètement. Ibid., 01:10:00. Thierry Jousse, op.cit., p. 72.
  • 19. Le garde de Gong Er: «Mr Ip, may I have a word? The Gong arts belong to the Gong family. The 64 hands aren’t juste there for the show.» The Grandmaster, 01:23:27.
  • 20. Ip man: «You know, I’d hope to visit the Northeast in 1937.», Ibid., 01:21:50. Ce genre de relation est omniprésent dans la filmographie de Kar-wai.
  • 21. Ibid., 01:53:23.
  • 22. Ibid., 02:04:25.
  • 23. Thierry Jousse, loc.cit., p. 73.
  • 24. The Grandmaster, 02:05:50