Le génie du mal en trois (ou quatre) personnages

Le génie du mal en trois (ou quatre) personnages

Soumis par Camille Turgeon le 30/07/2019
Institution: 
Cégep de L'Outaouais
Catégories: Crime, Violence

 

Le mal est un concept de la vie de tous les jours, un qui a côtoyé l’être humain tout au long de son existence. Chaque être vivant possède un côté généreux et un autre maléfique, et il ne peut y avoir du bien s’il n’y a pas de mal.  Le yin et le yang, par exemple, en est la parfaite représentation: un grand cercle représentant la vie, séparé en deux pour délimiter le mal du bien, mais une partie de chaque concept se retrouve dans l’autre, montrant leur codépendance. Cependant, le mal a toujours été craint. 

Que ce soit dans la littérature, à la télévision ou dans l’art visuel, le mal est souvent stéréotypé: un personnage qui ne pense qu’à lui, qui ne se préoccupe aucunement des vies qui le côtoient, qui cherche à dominer le monde, qui est un tyran, un dictateur. Puis, peu importe ses efforts, ses idées, le bon triomphe constamment. À chaque nouvelle tactique, les «gentils», avec leur lumière intérieure, ont une longueur d’avance sur leurs ennemis, qui ne gagnent jamais faute de leur propre lumière, qui est bloquée. Pourtant, cette vision du monde est complètement irréaliste. La ligne entre ce qui est bien et ce qui est mal est brouillée, toujours floue, jamais nette. 

Ainsi, les auteurs qui ont dépeint dans leurs œuvres des personnages complets, bons et mauvais, peu importe le genre, sont rares. Quelques auteurs ont relevé le défi, dont un très populaire: Sir Arthur Conan Doyle. Avec son personnage de James Moriarty, professeur de jour et cerveau d’une organisation criminelle de nuit, Doyle sort de l’ordinaire. Quelque 50 ans plus tard, Henri Vernes introduit dans son 33e roman le personnage de l’Ombre Jaune, aussi appelé Monsieur Ming, qui est considéré comme un véritable génie du Mal. Puis, DC Comics, en 1939, crée un riche méchant intelligent à l’ego surdimensionné, Lex Luthor, dont le seul but est d’éliminer le superhéros extraterrestre Superman peu importe le moyen. Ces trois personnages appartiennent au genre du génie du Mal, qui désigne, d’après Le Parisien, «un antagoniste [...] doté d’une très grande intelligence avec beaucoup de ressources qui s’en sert pour mettre à exécution des plans complexes et criminels afin de compromettre le héros ou dominer le monde.» (Encyclopédie Sans Agent, 2016)

 

Une araignée du nom de Moriarty

Dans les récits policiers de Doyle, le personnage de Moriarty n’a rien de spécial: il n’est pas un extraterrestre, la technologie n’est pas encore assez avancée pour qu’elle ait une réelle utilité pour lui, il n’est pas un tortionnaire. Sa présence est surtout remarquée dans la nouvelle «Le problème final», et apparaît aussi dans le roman La vallée de la peur. Le criminel est mentionné à travers d’autres aventures de Sherlock Holmes, mais il n’est jamais aperçu. C’est ce qui fait de lui un génie du Mal: il est comme un fantôme, rarement vu, mais il hante tout de même, tapi dans l’ombre de l’anonymat. De tous, il est connu comme un des mathématiciens les plus brillants qui soient. Il a enseigné à l’université pendant quelque temps aussi. Son dossier criminel est complètement vide, mais Sherlock Holmes, intuitif, est mis sur sa piste, convaincu de l’implication de Moriarty dans plusieurs des crimes enquêtés. Il traque le génie qui est inconnu du réseau criminel pendant des mois. Puis, comme une anguille, l’ex-professeur file entre les doigts de la justice maintes fois malgré les efforts du détective. Il a une habileté incroyable à créer des leurres et à organiser des crimes anonymement. Holmes le décrit dans cette nouvelle à son ami John Watson: «Il reste immobile comme l’araignée au centre de sa toile, mais cette toile a mille ramifications, et il perçoit les vibrations de chacun des fils.» (Conan Doyle, 2014: 540)

Avec sa langue déliée et son cerveau agile, Moriarty couvre toutes les pistes qui peuvent lui nuire habilement. Il n’est jamais l’exécuteur du coup, seulement le législateur. Puis, dans les quelques cas où l’exécuteur est appréhendé par la police, une grosse somme d’argent venant d’un compte impossible à tracer libère le prisonnier. Lorsque Holmes et Watson sont aux chutes du Reichenbach, Moriarty engage un jeune Suisse à apporter un message au docteur, ce qui l’amène à laisser Holmes aux chutes seul (Conan Doyle, 2014: 545). Cependant, Sherlock Holmes, ayant étudié et recherché le criminel, se prépare en conséquence: «J’étais bien convaincu, je vous l’avoue, que la lettre envoyée de Meiringen nous tendait un “piège” [.]» (Conan Doyle, 2014: 547) Bref, la force de Moriarty est surtout au niveau psychologique. Il joue avec l’esprit des personnes et s’y incruste profondément une fois son identité révélée au public.

 

Un génie immortel

Contrairement à la fiction policière de Sir Arthur Conan Doyle, Henri Vernes introduit une série de romans d’aventures et de science-fiction en 1953 mettant en vedette le justicier Bob Morane et ses aventures, qui deviennent de plus en plus complexes. Le principal ennemi de ce personnage se nomme Monsieur Ming, mieux connu sous le pseudonyme de l’Ombre Jaune, dont la première apparition est dans le 33e roman, La Couronne de Golconde. Dans le 35e roman, intitulé L’Ombre jaune, Monsieur Ming explique le choix de son nom: «J’ai pris ce nom d’Ombre Jaune parce que l’ombre représente le combat féroce que je livre pour arriver à mes fins, combat auquel succédera le jaune de la lumière.» (Vernes, 1959: 135) Ses objectifs diffèrent de ceux de Moriarty et même de Lex Luthor. À la base, il est un écologiste, un environnementaliste. Monsieur Ming fonde un mouvement apolitique du nom de Shin Than pour l’aider dans sa quête à dominer le monde afin de forcer les humains à retourner à leur état d’origine, celui de chasseurs-cueilleurs. Malheureusement, l’Ombre Jaune décide d’utiliser la violence comme arme au lieu de mots pour accomplir son but, sans quoi Bob Morane aurait probablement supporté Monsieur Ming: «Bob Morane approuve secrètement les objectifs écologistes et humanistes de son adversaire, mais ne peut admettre ses méthodes criminelles.» (Eloy, 2017). D’ailleurs, Bob Morane sauve la vie de Monsieur Ming dans le roman quand sa main droite est tranchée, lui créant un garrot fait de sa ceinture et cautérisant la plaie. Par la suite, voyant la faiblesse du corps humain, Monsieur Ming entame des mesures drastiques: à l’aide de la technologie, il devient immortel. Il réalise que s’il veut mener à jour ses plans, il va falloir qu’il vive plus longtemps que Bob Morane. Donc, il se crée des clones de lui-même, avec ses mêmes pensées et ses mêmes objectifs. Ainsi, lorsqu’une copie meurt, l’autre prend le dessus, rendant ce génie du Mal immortel. Une autre de ses créations est ses poupées. Dans Les poupées de l’Ombre Jaune, le méchant crée des poupées vivantes comme plus récente arme afin de battre Bob Morane et avoir la voie libre pour dominer le monde. Bref, Monsieur Ming a le cœur à la bonne place, mais comme la fin justifie les moyens, il est un personnage redoutable, à craindre.

 

Un humain orgueilleux persévérant

Lex Luthor est un des personnages les plus compliqués qui soient, mais aussi un des plus connus mondialement. Ennemi de Superman dans les DC Comics, il est un génie intellectuel, surtout dans les domaines des mathématiques, de la science et de la technologie, un incroyable acteur, un maître stratégiste, un Houdini dans l’âme. Il est le président de LexCorp, une société pétrochimique et industrielle à l’origine, qui devient ensuite une majeure compagnie technologique. Il a fondé son empire financier surtout grâce à des pots-de-vin, de l’intimidation et des meurtres —tous exécutés stratégiquement—, mais aussi grâce à sa persévérance et son dévouement à son travail. Ses actes criminels ont été très bien camouflés et toutes les traces qui pouvaient être reliées à lui effacées, donnant l’illusion au monde entier qu’il avait tout bâti son succès lui-même de rien. Cependant, lorsque Superman fait son arrivée, rapidement les personnes se mettent à adorer l’extraterrestre au lieu de lui. La jalousie s’empare totalement de Lex Luthor, qui se promet de détruire Superman. À chaque opportunité qui se présente, Lex Luthor tente d’attaquer et d’humilier le superhéros grâce à ses inventions technologiques. Il ment, triche, manipule, kidnappe, tue; tous les moyens sont désormais permis pour accomplir son but. Dans Luthor’s Undersea City, Lex Luthor envoie un missile après Superman, kidnappe Lois, la femme dont Superman est amoureux, et crée des dinosaures pour dominer le monde:

«Observe bien! J’ai recréé dans ce laboratoire les monstruosités biologiques de l’ère préhistorique. Je vais les relâcher sur le monde entier pour qu’ils brisent la foi de tous les humains, me permettant de le dominer!» (Siegel et Shuster, 2007: 68) The Beasts of Luthor aussi met en scène d’énormes animaux modifiés génétiquement et un autre enlèvement de Lois. Une autre constante dans les aventures entre Superman et Lex Luthor est celle de la mort du criminel. À la fin de la plupart des aventures, Superman annonce «La fin de Luthor!» Si ce n’est pas Superman qui l’annonce, alors la narration le décrit implicitement (Siegel et Shuster, 2007: 52, 70). Pourtant, Luthor revient encore et encore avec des inventions et de nouvelles tactiques pour vaincre l’extraterrestre. Bref, Lex Luthor est doté d’une intelligence extrêmement supérieure à la moyenne et rien ne peut l’empêcher d’accomplir son but. Il persévère encore et toujours même si chacun de ses essais est contré.

 

Le méchant au grand écran

Le génie du Mal ne se trouve pas seulement dans la littérature; il est un concept énormément présent dans la société, surtout dans le domaine du cinéma. Darth Vader (Saga Star Wars) est l’un des méchants les plus connus, si pas le plus connu mondialement, du septième art. D’abord un esclave du nom de Anakin Skywalker, il est secouru par les Jedi et amené au Temple pour devenir un Chevalier Jedi. Malgré son apparence de petit garçon innocent, il porte en lui une grande haine et une grande passion qui est exprimée plusieurs fois au cours de ses années au service des gentils. Lorsqu’il trouve sa mère torturée à mort par un peuple des sables de la planète Tatooine, il assassine non seulement les hommes, mais les femmes et les enfants aussi. Puis, pour sauver sa femme d’une mort en couches, il accepte de devenir l’apprenti de Darth Sidious, le Maître Sith, et comme preuve de loyauté, il tue tous les Jedi dans le Temple avec l’aide des Clones. Désormais un pratiquant du côté obscur de la Force, il est le bourreau de l'Empereur Darth Sidious, son maître. Puis, il rencontre son fils, Luke Skywalker, qui le convainc de retourner du côté de la Lumière. Loin d’être un stéréotype, ce personnage, malgré qu'il soit différent de Moriarty, de Lex Luthor et de l’Ombre Jaune, est tout de même un génie du Mal, surtout à la suite de toutes les atrocités qu’il a commises pour arriver à ses fins.

 

Différents formats, même résultat

En conclusion, le génie du mal se retrouve partout, dans chacun de nous.  Moriarty, le criminel connecté partout, Lex Luthor, le milliardaire excentrique, et l’Ombre Jaune, l’inventeur écosensible violent; tous nourrissent leur partie sombre de leur plein gré. Darth Vader, en tant que bourreau de l’empereur, ne cesse de nourrir sa noirceur, mais Anakin Skywalker est toujours présent en lui, seulement en manque d’énergie. Ce n’est que nous qui décidons quelle partie nourrir: le bon ou le mauvais.

 

Bibliographie complète

CONAN DOYLE, Arthur. Sherlock Holmes: L’intégrale illustrée, Paris: Caractère, 2014.

ELOY, Michel. «Dossier de Jacques Pessis», Bob Morane, Intégrale 7, Paris: Lombard, 2017.

ENCYCLOPÉDIE SANS AGENT. «Génie du Mal» Le Parisien, 2016.

SIEGEL, Jerry et Joe SHUSTER. The Superman Chronicles, vol. 3, New York: DC Comics, 2007.

VERNES, Henri. L’Ombre jaune, Paris: Marabout Junior, 1959.