Le recyclage culturel dans The Legend of Zelda

Le recyclage culturel dans The Legend of Zelda

Soumis par Sophie Archambault le 21/01/2023
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L’année 1986 en est une que l’on peut qualifier d’historique pour l’industrie du jeu vidéo en raison de la sortie de « The Legend of Zelda » sur la console NES. Novateur au niveau technique et immersif, c'est à plus de 6, 51 millions d’exemplaires[1] que le jeu s’est vendu sur le marché. Ce succès commercial ouvre ainsi la porte à la production de dix-huit autres jeux de la franchise The Legend of Zelda qui recyclent sensiblement les mêmes éléments d’un épisode à l’autre, ceux-ci étant garants d’un triomphe économique presque assuré. Dans la grande majorité des épisodes, Link, le héros de la franchise, a pour mission de sauver la princesse Zelda et le royaume d’Hyrule. Il affronte l’antagoniste Ganondorf qui souhaite devenir maître de ces lieux avec l’aide de la triforce laissée sur terre par les déesses fondatrices du royaume. Résoudre des énigmes au sein de temples et de donjons, y acquérir de nouveaux objets (Master sword, bombes, grappin, arc…) et voyager dans des espaces spécifiques (les Bois perdus, le lac Hylia, le village Zora…) deviennent alors des composantes récurrentes de la franchise qui finissent par fonder l’identité de celle-ci tout en rencontrant l’horizon d’attente des joueurs. Bien que chaque épisode de The Legend of Zelda soit régi par un impératif itératif, c’est précisément ce recyclage qui permet d’y créer de la nouveauté. Nous nous attarderons plus spécifiquement à trois épisodes de la franchise, soit « Skyward Sword[2] », « Ocarina of Time[3] » et « The Wind Waker[4] ». Particulièrement importants pour les fans, ces jeux témoignent du fait que le retour de lieux, de peuples et d’objets met en lumière le caractère évolutif du cycle. Aussi minime soit-il, il donne l’occasion à la franchise de devenir un univers à part entière. La réutilisation de mêmes topos touche quant à elle directement au pathos du joueur et augmente sensiblement son expérience de gameplay.

Mis respectivement sur le marché en 1998, 2003 et 2011, « Ocarina of Time », « The Wind Waker » et « Skyward Sword » sont trois jeux issus de la matrice zeldaenne qu’est « The Legend of Zelda ». Ils reprennent tous sensiblement la formule de ce premier jeu sorti sur la NES. Nous devons constamment franchir des épreuves semblables et sommes toujours dans le même univers, soit le royaume d’Hyrule. Mais celui-ci connaît néanmoins des changements évolutifs ou régressifs d’un épisode à un autre, ce qui conditionnera, comme nous le verrons sous peu, l’apparition de variations au niveau des personnages, de l’intrigue ou du gameplay. Alors que « Ocarina of Time » présente une Hyrule terrestre qui permet au héros de voyager dans le temps, « The Wind Waker » met plutôt en scène des espaces majoritairement dominés par l’augmentation du niveau de l’eau, enfouissant Hyrule sous les océans. « Skyward Sword » prend place sur des îles qui flottent à même le ciel, précédant la création officielle d’Hyrule (qui se fera au cours du jeu). Malgré ces variations, nous pouvons affirmer que ces trois épisodes, sur le plan du macro recyclage, répètent la matrice vidéoludique de la franchise, conférant à l’ensemble des jeux, comme le dit Lotman, un « parallélisme sémantique » qui structure et se porte garant de « l’unité fonctionnelle ⦍de l’univers de Zelda⦎[5] ». En effet, nous pouvons reconnaître un épisode de The Legend of Zelda précisément car il respecte toujours une même structure narrative, spatiale et actantielle de base. Là où les différences sont les plus notables, c’est au niveau de l’ambiance. « Ocarina of Time » se démarque particulièrement grâce à son scénario recherché. « The Wind Waker » doit beaucoup à l’originalité de son design graphique plus cartoon, alors que « Skyward Sword » brille grâce à l’innovation de son gameplay. En effet, les deux premiers épisodes se jouent avec la manette de Nintendo 64 ou de GameCube. Pour « Skyward Sword », la Wiimote de la Nintendo Wii permet un gameplay différent qui implique davantage la corporéité du joueur.

Si The Legend of Zelda peut constamment se recycler lui-même sans se saturer, c’est surtout grâce au fait que l’ensemble vidéoludique zeldaen instaure des répétitions créatrices sur le plan de la diégèse, car elles ne sont pas que de pures reproductions. Par le recyclage d’éléments diégétiques, chaque épisode en vient à produire une répétition qui est fondamentalement différente de ses prédécesseurs. Pour reprendre les mots de Deleuze sur le simulacre, qui peut ici être mis en parallèle avec ce type de répétition, il crée «  un effet extérieur de ressemblance. C’est comme illusion, et non comme principe interne ; il est lui-même construit sur une disparité, il a intériorisé la dissimilitude de ses séries constituantes, [...] si bien qu’il montre plusieurs choses, raconte plusieurs histoires à la fois.[6] »

Le cas de l’adjuvant principal de Link est ici très révélateur. Dans tous les épisodes, le joueur traverse les épreuves du jeu avec l’aide d’un conseiller qui accompagne Link. Qu’il soit représenté par l’esprit de la Master sword dans « Skyward Sword », par une fée dans « Ocarina of Time » ou par un voilier animé dans « The Wind Waker », le joueur retrouve toujours ce personnage qui remplit une même fonction dans le schéma actantiel : celle de le guider. Toutefois, alors que Saussure affirme qu’un signe lie un signifiant et un signifié afin que « ces deux éléments [soient] intimement unis et s’appellent l’un l’autre.[7] », ce rôle récurrent de guide devient un élément sémiotique qui convoque toujours un même signifié en transformant néanmoins son signifiant à chaque épisode. Il se crée alors de la nouveauté dans la répétition de la fonction du guide tout en permettant au joueur de consolider « un ensemble d’attente et de règles du jeu avec lesquelles les [épisodes] antérieurs l’ont familiarisé[8] ». C’est d’ailleurs la présence même du King of Red Lions, le voilier animé, qui permet à « The Wind Waker » de prendre une nouvelle tournure au niveau du gameplay. The Legend of Zelda a toujours eu pour but de créer des jeux d’aventures dans lesquels ce sont précisément les péripéties qui structurent le récit de l’épisode. Mais avec l’apparition à la fois répétitive et originale du King of Red Lions, la figure du guide revisité dans son signifiant engendre une possibilité d’exploration de l’univers océanique qui se veut davantage rhizomatique (« Breath of the Wild » poussera encore plus loin l’exploration rhizomatique avec un open world en 2017), venant contrebalancer la linéarité narrative de la quête principale de Link. En effet, l’effet de présence du joueur n’en est que renforcé, puisque ce dernier a davantage l’impression de contrôler le narratif du jeu. Lorsque Link navigue au sein de l’océan à bord de son guide-voilier, le potentiel de sérendipité du jeu est démultiplié, si bien que l’exploration aléatoire peut devenir le but du joueur :

For self-motivated players who can look past the game as a straightforward win-lose challenge, The Wind Waker overworld champions exploration for exploration’s sake. It is a space in which idle experimentation and unstructured play – [...] discovering picturesque little islands, [...] or sailing about just for the simple thrill of it – become experiences enjoyable on their own terms.[9]

Même si la liberté de choix est illusoire dû à la préexistence du code du jeu, le joueur en vient à ressentir « une expérience esthétique singulière [du jeu], une sensation de présence avec une conscience du dispositif[10] ». C’est en effet le conflit entre la linéarité du récit principal et le caractère rhizomatique de la navigation qui devient signifiant pour le joueur. Celui-ci se sent présent au sein du jeu grâce au contact qu’il a avec lui, grâce à l’interactivité et l’agentivité particulière qu’il peut y développer en raison de la réincarnation du guide sous la forme de voilier animé.

Mais non seulement la répétition est synonyme de nouveauté au sein de la franchise, elle est aussi garante d’une certaine évolution de l’ensemble des épisodes sur le plan temporel. Au sein de son processus itératif, la franchise fait en sorte de créer une continuité dans l’intrigue par le retour des personnages, des objets et des lieux tout en les rendant sémantiquement signifiants dans la cohérence de l’ensemble. En se citant constamment elle-même, la franchise en vient à former un récit qui surplombe chaque épisode par le retour évolutif des mêmes éléments. Ainsi, « le passage du temps [est] pris en compte, et l’évolution du monde fictionnel rest[e] constamment en perspective, ne serait-ce que suggérée.[11] »

Nous pouvons illustrer cela par la figure de l’épée légendaire présente dans la majorité des épisodes. La Master sword « va servir de véritable point d’accroche d’un épisode à l’autre, élément clé qui rappelle au joueur l’existence d’une continuité assez vague entre les jeux.[12] » Technique commerciale ou désir de créer un véritable univers, il n’en reste pas moins que Nintendo, dans Hyrule Historia. Encyclopédie de The Legend of Zelda, dévoile la chronologie officielle des jeux de la franchise. « Skyward Sword », sorti en 2011, se classe en tête de cette chronologie et explique l’origine des personnages et de la Master sword, tous destinés à être liés pour le reste des temps.

Il n’est pas anodin que l’incipit de « Skyward Sword » soit : « Link… Il est temps de s’éveiller… Bientôt, la grande destinée qui vous attend se mettra en marche…[13] » D’ailleurs, il est intéressant de voir que « Ocarina of Time » et « The Wind Waker » débutent aussi avec la scène du réveil de Link, comme si cette référence au commencement chronologique de la franchise était réactualisée dans ces épisodes. Symboliquement, le réveil de Link représente aussi celui du héros qui sommeille en lui. Cette répétition présentée originellement dans « Skyward Sword » comme une prolepse témoigne du fait que cet épisode devient en quelque sorte le mythe d’origine qui va permettre l’existence de presque tous les autres jeux par la création du lien indestructible entre Zelda, la Master Sword, Ganondorf et Link. Effectivement, l’épée légendaire en vient à structurer la plupart des épisodes. D’une part, la Master Sword est témoin du fait que « le passé n'est que la préfiguration du futur[14] », car, dans l’univers de The Legend of Zelda, Link doit toujours traverser sensiblement les mêmes épreuves avec l’aide de l’épée pour arriver à ses fins. D’autre part, elle fait indéniablement le lien entre

l’ensemble [vidéoludique] et le mythe [d’origine]. Le motif de l’éternel retour, qui caractérise l’appréhension primitive du temps, ne peut rester étranger à une forme [...] dont la discontinuité matérielle, le rythme de publication saccadé [et le retour d’objets, de personnages et de lieux] s'apparentent à une succession de perpétuels recommencements.[15]

 

De ce fait, à mi-chemin entre l’anarchie des simulacres deleuziens et la prédominance temporelle immémoriale de l’archétype de Mircea Eliade, l’existence de la Master Sword permet à un même signe de se répéter dans plusieurs jeux sans que l’arme ne finisse par se vider de son sens en se sclérosant elle-même.

Bien que la répétition de lieux, de personnages et d’objets servent à créer de la nouveauté dans un univers cohérent et en constante évolution, l’autoréférentialité dont la franchise fait preuve a également pour fonction d’immerger et de rendre présent le joueur dans le jeu en touchant à sa nostalgie, en s’attaquant directement à son pathos. Bien sûr, cela rejoint aussi l’un des buts principaux de la franchise de The Legend of Zelda : vendre beaucoup en fidélisant un large public.

Tout d’abord, il est nécessaire de distinguer l’effet de présence de l’immersion, les deux étant souvent liés et servant à l’activation du pathos chez le joueur. Selon Alison McMahan, l’immersion relève davantage d’une « sensation of being surrounded by a completely other reality, as different as water is from air, that takes over all of our attention, our whole perceptual apparatus ». L’effet de présence est plutôt définit par la théoricienne en ces termes : « the feeling of being there [by a] [...] perceptual illusion of nonmediation[16] ».

La musique dans les jeux vidéo est une bonne composante qui permet l’avènement à la fois de l’effet de présence et de l’immersion. En effet, le joueur ne peut qu’être ravi de retrouver constamment les instruments de musique dont se sert Link au cours de ses aventures. Utilisés pour se téléporter, appeler sa monture et beaucoup plus encore, leur recyclage d’un épisode à l’autre sert aussi à immerger le joueur dans l’univers d’une franchise qui intègre ce topos à la cohérence même de l’univers dans lequel les jeux prennent place. Bien que les instruments musicaux soient grandement signifiants dans l’évolution narrative des épisodes, « c’est également la façon dont on peut en jouer qui a intéressé les concepteurs : entre la simulation du mouvement et du souffle, ce ne sont plus forcément les hauteurs qui comptent, mais la reproduction de la gestuelle[17] ».

L’épisode « Ocarina of Time » a été novateur sur plusieurs plans, dont celui de la jouabilité de la musique par le joueur. Alors que, dans les épisodes précédents, ce dernier devait seulement aller dans son menu et sélectionner une musique pour qu’elle soit jouée par Link, l'innovation dont fait preuve ce jeu permet à la récupération d’un même topos de créer une plus grande convergence « entre le potentiel d’action du [jeu] et le potentiel d’action du mouvement [du joueur], pour que le message s’en trouve renforcé.[18] » En effet, le joueur doit désormais jouer la musique avec divers boutons de sa manette pour que Link puisse la jouer à son tour. Impliqué sensoriellement et techniquement, le joueur ne peut qu’être davantage immergé dans cet univers qui témoigne d’une connexion entre Link, le joueur, et le monde dans lequel ceux-ci évoluent chacun à leur manière.

Donc, surtout à partir de « Ocarina of Time », la musique prend une grande place au sein de la franchise. Le joueur se trouve maintenant toujours impliqué dans sa production même, développant son sentiment nostalgique lorsqu’il joue à un épisode postérieur à « Ocarina of Time » et qu’il retrouve ce même topos dans lequel il a dorénavant systématiquement un rôle actif à jouer. En effet, comme le dit Robillard, « cette possibilité d’influer sur le sonore [est] [...] importante en tant qu’élément immersif, mais aussi en tant que souvenir : avec des sons si marquants, des mélodies [...] ont trouvé un nouvel écho dans tous les esprits[19] ». Ainsi, dans les épisodes qui vont suivre, la franchise devient très au courant de ce sentiment nostalgique qui habite désormais le joueur et cherche à toucher à nouveau le pathos de ce dernier. Elle va constamment tenter de réactualiser ce qu’il a vécu en jouant à « Ocarina of Time », témoignant du fait que « nostalgia is not always about the past; it can be retrospective but also prospective. Fantaisies of the past determined by needs of the present have a direct impact on realities of the future.[20] »

Paradoxalement, en recyclant les situations où Link doit jouer de la musique, les épisodes arrivent aussi à créer « une distance entre l’horizon d’attente préexistant et l'œuvre nouvelle dont la réception peut entraîner un changement d’horizon[21] », puisque la manière dont le joueur peut se servir de l’instrument s’est mise à être très changeante à partir de la sortie de « Ocarina of Time », jouant entre la familiarité et la nouveauté. Cette répétition créative au niveau de la jouabilité de la musique doit beaucoup aux avancées technologiques. Alors que le joueur n’avait que sa manette de Nintendo 64 pour jouer la musique de « Ocarina of Time », il a eu l'occasion de le faire à l’aide de la Wiimote dans « Skyward Sword ». Effectivement, le joueur, dans cet épisode, doit mimer l’acte de jouer de la musique avec la Wiimote, et c’est donc tout son corps qui est impliqué dans la production musicale. Le pathos du joueur devient incarné.

Ce sont ici les progrès technologiques qui augmentent la sensation d’être présent dans le jeu, puisque ce sont ces derniers qui permettent au joueur d’être à la fois présent dans sa propre réalité ainsi que dans celle de l’épisode. Alors que le joystick ne mobilise que le mouvement des doigts dans la jouabilité de la musique, la Wiimote permet quant à elle une continuité totale entre le mouvement du joueur et celui de Link, comme si ce dernier se regardait dans un miroir. Aussi, le gameplay musical devient une composante narrative, celui-ci étant essentiel pour, par exemple, ouvrir la porte du Temps à l’aide d’un Chant et faire progresser Link dans ses aventures. La gestuelle du joueur et celle de Link deviennent liées, l’une dépendant de l’autre pour que le récit évolue. Ce recyclage particulier du topos de la jouabilité musicale n’est évidemment possible qu’en régime postmoderne où l’humain ne se pense pas sans les technologies. Celles-ci sont perçues comme étant les extensions du corps. Elles prolongent ce dernier dans l’espace et le temps sans les contraintes physiques, rendant le joueur d’autant plus présent et immergé dans le jeu auquel il s’adonne en raison de l’impression de non médiation que permet la Wiimote. Comme le dit Christophe Duret :

le développement des réseaux numériques s'est accompagné d'une triple transformation du rapport entre identité personnelle et présence corporelle – une abstraction, une libération et une contraction – suivant laquelle le corps est repensé dans sa symbiose avec la technologie. Il y a ainsi abstraction du rapport de l'individu à l'espace et au temps, conduisant à l'arrachement des attaches au territoire et à l'accentuation de l'individualisme en réseau. Il y a libération, puisqu'il se crée des espaces transitionnels favorisant la distraction et la rêvasserie. Enfin, il y a contraction de la zone de manipulation et de perception directes de l'individu, dans la mesure où il œuvre de plus en plus au sein de simulations, au détriment d'interventions sur le réel.[22]

 

The Legend of Zelda se base donc fondamentalement sur plusieurs types de relations : liens indestructibles entre les personnages de la franchise, liens chronologiques entre les épisodes et les éléments qui les composent et liens entre le joueur et l’avatar qu’il contrôle. Le nom donné au héros, « Link[23] », s’avère donc ici tout sauf anodin. Le personnage de Link, c’est non seulement le point d'ancrage de l'ensemble des composantes vidéoludiques zeldaennes, mais c’est aussi celui qui légitime l’existence même de la franchise en lui conférant une unité. Comme l’affirme Besson, « le héros de cycle, lui, est beaucoup plus strictement déterminé au moment de sa réapparition, puisque le retour du nom propre implique ici celui de toutes les caractéristiques posées comme de toutes les situations vécues précédemment.[24] » En effet, l’apparition répétée de Link vient aussi avec tout le bagage légendaire, vestimentaire, iconique, situationnel et sonore qui lui est associé et dont il a été précédemment discuté. De ce fait, la présence même de Link dans les différents épisodes qui constituent l’ensemble vidéoludique témoigne à elle seule de l’évolution temporelle qu’elle subit. Toujours identique à lui-même et pourtant systématiquement différent, Link est l’ultime lien qui permet à la franchise de se définir comme un univers cohérent, et ce malgré l’indépendance relative de chaque épisode de The Legend of Zelda. Il est clair qu’à lui seul, Link représente le mouvement de récupération qui prend d'assaut le milieu culturel de la fin du XXe siècle et du XIXe siècle. Il témoigne du fait qu’il y a « un paradigme culturel  ̶  celui du recyclage et du copiage  ̶  qui s'affirme, même si ses contours restent flous; il prend de la place et s'impose comme une dominante.[25] »   

En somme, il est clair que la franchise de The Legend of Zelda, et particulièrement les jeux « Skyward Sword », « Ocarina of Time » et « The Wind Waker », utilise une rhétorique de la répétition pour créer de la nouveauté au sein des jeux. Alors que les signes changent de signifiants tout en préservant leurs signifiés, cette transformation permet aux jeux d’être créatifs au niveau du gameplay, octroyant ainsi à la franchise une certaine originalité dans son auto recyclage. Mais les répétitions d’éléments, loin de seulement structurer chaque épisode individuellement, confèrent surtout une temporalité à l’ensemble des jeux. En partant d’un mythe d’origine, la chronologie de The Legend of Zelda témoigne d’une évolution de ses composantes, justifiant ainsi leur réutilisation. En rejouant constamment des topos qui sont familiers aux joueurs tout en prenant en compte l’évolution technologique, le recyclage de la jouabilité de la musique de la franchise donne l’occasion aux jeux d’amplifier leur aspect immersif et la force de l’effet de présence que le joueur peut ressentir face à eux. Enfin, il est possible de voir que c’est l’existence du personnage de Link qui légitime les répétitions présentes dans les jeux, puisque la seule présence du héros rappelle instantanément le passé de l’univers de l’ensemble vidéoludique au joueur. Alors que la sortie d’un vingtième jeu de la franchise est prévue pour 2023, la popularité de The Legend of Zelda ne va qu’en augmentant. Elle est si grandissante qu’elle franchit même les frontières de la fiction, voire brouille les seuils entre celle-ci et la réalité. Que l’on pense aux orchestres qui reprennent la musique de la franchise, aux cosplays incarnés par les fans dans les conventions de jeux vidéo ou aux fanfictions qui reprennent les personnages et les transposent dans d’autres mondes fictionnels, il est clair que l’univers zeldaen, loin d’œuvrer seulement dans la fiction, se calque également sur l’imaginaire contemporain.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

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[1] Ouest France, Les dix jeux vidéo Zelda les plus vendus dans le monde, en ligne, ‹https://www.ouest-france.fr/high-tech/jeux-video/les-dix-jeux-video-zeld....

[2] Aonuma, Eiji, The Legend of Zelda: Skyward Sword, [jeu vidéo], Shigeru Miyamoto (production), 2011.

[3] Aonuma, Eiji, The Legend of Zelda: Ocarina of Time, [jeu vidéo], Shigeru Miyamoto (production), 1998.

[4] Aonuma, Eiji, The Legend of Zelda: The Wind Waker, [jeu vidéo], Shigeru Miyamoto (production), 2003.

[5] Lotman, Iouri, La Structure du texte artistique, Paris, Gallimard, 1973, p. 267.

[6] Deleuze, Gilles, « Chapitre II. La répétition pour elle-même », dans Différence et répétition, Paris, Presses universitaires de France, 2013, p. 164.

[7] Saussure, Ferdinand, Cours de linguistique générale, Éditions Payot, Paris, 2005 [1906-1911], p. 99.

[8] Jauss, Hans Robert, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, p. 56.

[9] Wilson, Douglas, The Legend of Zelda: The Wind Waker. From Videogame to Virtual Playground and Beyond, Honors Thesis,  Interdisciplinary Studies in Humanities, Stanford University, 2007, f. 54.

[10] Mackrous, Paule, L'effet de présence, un modèle d'interprétation pour les œuvres hypermédiatiques, thèse de doctorat, Département de sémiologie, Université du Québec à Montréal, 2015, f. 15.

[11] Besson, Anne, De Tolkien à Asimov. Cycles et séries dans la littérature de genre, Paris, CNRS éditions, 2004, p. 167.

[12] Iconoclaste, « C’est quoi l’épée de légende? (Legend of Zelda) », [vidéo], 2020, en ligne, ‹https://www.youtube.com/watch?v=G_5eH4oVNsc›.

[13] Aonuma, Eiji, Hyrule Historia. Encyclopédie de The Legend of Zelda, Paris, Soleil, 2013, p. 7.

[14] Eliade, Mircea, Le Mythe de l’éternel retour, Paris, Gallimard, 1989, p. 107.

[15] Besson, Anne, op. cit., p. 284.

[16] McMahan, Alison, « Chapter 3. Immersion, Engagement, and Presence: A Method forAnalyzing 3-D Video Games », dans Perron, Bernard et Mark Wolf (dir.), The Video Game theory reader, New York, Routledge, 2003, p. 67-68-72.

[17] Robillard, Fanny, La musique dans Zelda. Les clefs d’une épopée hylienne, Toulouse, Third Éditions, 2021, p. 107.

[18] Saemmer, Alexandra, « Fondements rhétoriques d’un texte numérique », Rhétorique du texte numérique : figures de la lecture, anticipations de pratiques, Villeurbanne, Éditions des Presses de l’Enssib, 2015, p. 56.

[19] Robillard, Fanny, op. cit., p. 267.

[20] Boym, Svetlana, The Future of Nostalgia, New York, Basic Books, 2001, p. 16

[21] Jauss, Hans Robert, op. cit., p. 58.

[22] Duret, Christophe, « Technocorps : La sociologie du corps à l'épreuve des nouvelles technologies », Canadian Journal of Communication, vol. 39, 2014, p. 506.

[23] Link veut dire « lien » en français.

[24]  Besson, Anne, op. cit., p. 101.

[25] Moser, Walter, « Introduction. L’esthétique à l’épreuve du recyclage culturel », dans Esthétiques et recyclages culturels. Exploration de la culture contemporaine, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2004, p. 14.