Les réécritures, des engrenages de l’industrie culturelle: le mythe d’Hadès et Perséphone

Les réécritures, des engrenages de l’industrie culturelle: le mythe d’Hadès et Perséphone

Soumis par Ophélie Boucher le 13/06/2023
Institution: 
Université du Québec à Montréal
Catégories: Fiction

 

En culture populaire, l’idée de l’industrie est souvent attribuée au cinéma, notamment à cause d’Hollywood qui est décrite comme étant une machine à produire des films. Évidemment, tous les moyens sont bons pour que la production perdure, ce qui explique l’image d’Hollywood comme machine à recycler dans l’imaginaire populaire: «Au cinéma, on ne jette rien, on récupère tout, on réassemble, on fait des montages, on transplante, on déplace dans d’autres contextes» (Laura Odello, 2013: 18). Cela dit, il est possible de rattacher la notion d’industrie à la littérature en abordant, entre autres, la théorie de l’hypertextualité développée par Gérard Genette dans Palimpsestes. Les relations qui existent entre les textes permettent d’arriver à la conclusion que tous les textes s’inscrivent, d’une manière ou d’une autre, dans ce qui a été écrit avant. C’est le cas des réécritures, qui sont intrinsèquement liées à l’hypertextualité et à l’industrie culturelle. Les romans A Touch of Darkness de Scarlett St. Clair et Neon Gods de Katee Robert sont deux réécritures du mythe d’Hadès et de Perséphone parues respectivement en 2019 et en 2021. Ces récits reflètent non seulement l’intérêt du public actuel pour la mythologie grecque, mais surtout l’engouement que suscitent les réécritures. Afin de comprendre comment celles-ci s’inscrivent dans l’industrie culturelle, il est primordial de d’abord s’intéresser au mythe original puis de comparer les deux romans en étudiant une scène commune aux deux œuvres, soit celle de la rencontre des protagonistes. Il sera ensuite question des raisons qui incitent les auteurs à reprendre des mythes, puis des procédés qui permettent d’affirmer qu’il existe un lien entre la réécriture et l’industrie culturelle.

 

Le mythe d’origine et ses réécritures contemporaines

Les premières traces du mythe grec d’Hadès et de Perséphone se trouvent dans L’Hymne homérique à Déméter rédigé entre la seconde moitié du septième siècle et la première moitié du sixième siècle avant Jésus Christ1. Le mythe de l’enlèvement de Perséphone par Hadès a depuis marqué l’imaginaire et a été le sujet de plusieurs œuvres littéraires, comme les romans A Touch of Darkness de Scarlett St. Clair publié en 2019, et Neon Gods de Katee Robert paru en 2021. Les deux autrices ont d’ailleurs écrit plusieurs livres romantiques, mais elles doivent leur popularité à ces réécritures. Leurs séries Hadès & Perséphone ainsi que Dark Olympus (auxquelles appartiennent respectivement les œuvres étudiées) ont conquis le public et ont connu un succès fulgurant, notamment grâce à la visibilité que leur a donnée la plateforme TikTok.   

L’histoire des souverains de l’Enfer est relativement simple: Hadès, après être tombé amoureux de Perséphone, décide de l’enlever la condamnant ainsi à rester dans le bas monde avec lui. Déméter tente en vain de retrouver sa fille et déclenche une sécheresse pour attirer l’attention des dieux qui ne semblent pas vouloir l’aider. Afin d’éviter la catastrophe, Zeus demande à Hadès de relâcher Perséphone, ce qu’il accepte. Cela dit, ayant plus d’un tour dans son sac, le dieu de l’Enfer offre à la déesse une graine de grenade en sachant que son goût lui donnerait envie de revenir auprès de lui. Perséphone est donc libérée, mais est condamnée à retourner perpétuellement dans le royaume des morts pour une partie de l’année1. Comme le mentionne Pierre Brunel, le mythe sert à raconter, expliquer et révéler (1988: 8-9). Dans le cas d’Hadès et de Perséphone, il est possible de penser que le mythe symbolise, entre autres, le changement des saisons et l’aspect cyclique de la vie.

Dans le roman de St. Clair, la déesse souhaite s’émanciper de la protection étouffante de sa mère. Sous une forme humaine, elle étudie le journalisme et vit le quotidien banal et caféiné d’une universitaire. Elle nourrit aussi sa curiosité pour le mystérieux Hadès, le dieu de l’Enfer connu pour les nombreux paris jugés impossibles qu’il propose aux mortels. En tentant de dénoncer ses pratiques immorales, Perséphone devient elle-même victime du jeu d’Hadès et se voit contrainte de remplir son contrat sous peine de perdre sa liberté.

Katee Robert, quant à elle, s’accorde une plus grande liberté créatrice dans Neon Gods et réinventant davantage l’histoire. Dans cet univers où tout le monde est humain, Perséphone souhaite laisser derrière elle sa ville et la célébrité dont elle est victime depuis que sa mère est devenue Déméter. À son insu, elle est promise à Zeus et décide de fuir lorsque la nouvelle est rendue publique. La jeune fille se réfugie alors dans la basse citée qui est sous la protection d’Hadès. Afin d’échapper à son mariage, Perséphone décide de lui faire une proposition qu’il ne peut refuser étant donné son attirance pour elle. Dans ce roman, les noms des personnages ainsi que quelques-uns de leurs attributs sont fidèles au mythe original, mais l’histoire en diffère davantage que dans A Touch of Darkness. Cela dit, dans les deux cas, les éléments essentiels du mythe sont repris ce qui permet au lecteur, ayant certaines connaissances de base en mythologie, de connaitre d’emblée la trame narrative des œuvres.

D’ailleurs, en analysant dans les deux romans la scène de la première rencontre entre Hadès et Perséphone, il est possible de remarquer une certaine uniformité dans la manière dont les personnages sont présentés. Dans les deux œuvres, une distance sépare Hadès et Perséphone lorsqu’ils s’aperçoivent. Dans le roman de St. Clair, la déesse remarque un homme qui l’observe, tamisé dans l’ombre de la discothèque où elle se trouve: «She noticed small details like […] the wrought-iron rails of the second balcony where a lone figure loomed. That was where her gaze stayed, meeting a pair of shadowy eyes» (2021[2019]: 21). Dans Neon Gods, la première rencontre de Perséphone et Hadès se fait dans un contexte similaire: «I’m halfway across the bridge when I catch sight of the man standing on the other bank» (Katee Robert, 2021: 24). D’ailleurs, les deux œuvres insistent sur le caractère obscur et mystérieux du dieu de l’Enfer. Dans A Touch of Darkness, Perséphone remarque rapidement que l’homme qui l’observe est l’incarnation même de l’obscurité: «He was […] dressed in darkness from his inky hair to his black suit» (Scarlett St. Clair, 2021[2019]: 22). C’est aussi ce que remarque la déesse dans le roman de Katee Robert: « He looks down at me, still as a statue draped in black […]» (2021: 24). De plus, Hadès est présenté comme étant un inconnu dans les deux romans et n’est nommé qu’après quelques interactions entre les personnages. Dans les deux œuvres, le dieu des Enfers semble d’abord inaccessible et mystérieux alors que Perséphone est obnubilée par lui. Elle est aussi celle qui franchit la distance qui la sépare d’Hadès, et non l’inverse comme dans le mythe d’origine. En effet, dans A Touch of Darkness, sa curiosité la pousse à se rendre au deuxième balcon alors que dans Neon Gods, c’est sa détresse qui l’incite à se réfugier dans la basse citée. Il est possible de remarquer que les scènes où les protagonistes se rencontrent comportent plusieurs similarités ce qui reflète une certaine standardisation, un aspect primordial de l’industrie culturelle dont il sera question un peu loin dans cette analyse.

Par ailleurs, malgré les différences présentes dans les romans, les deux écrivaines se réapproprient le mythe de façon semblable ce qui fait en sorte que sa fonction est similaire dans les deux œuvres. Dans A Touch of Darkness, Perséphone est une déesse qui ne parvient pas à utiliser sa magie. Elle est aussi une colocataire, une étudiante en journalisme et une stagiaire. Ces éléments la rendent accessible au lecteur qui peut s’identifier à elle malgré son statut divin. À New Athens, la ville où habite Perséphone, les dieux ont le même statut que les célébrités d’aujourd’hui; les mortels les vénèrent et veulent essayer leurs restaurants, leurs magasins et leurs discothèques. Celle d’Hadès suscite d’ailleurs énormément d’intérêt puisqu’il s’agit de l’endroit où il fait des paris avec les humains. Leur caractère immoral peut d’ailleurs être débattu avec l’avancement du récit alors que le dieu de l’Enfer se révèle comme étant généreux et protecteur des âmes qui habitent dans son royaume. Ainsi, il ne fait pas de paris avec les mortels pour son plaisir, mais bien pour tenter de changer leur destin:

Hades is the Lord of the Underworld, but he is not death, nor is he destiny. You may see a bargain with a mortal, but Hades is really bargaining with the Fates. He can see the thread of each human’s life, knows when their soul is burdened and wishes to change the trajectory (Scarlett St. Clair, 2021[2019]: 276).

L’objectif du roman de St. Clair n’est pas de reprendre le mythe original dans sa totalité, mais plutôt de le réactualiser et de lui donner une nouvelle signification, c’est ce que Wunenburger appelle le bricolage mythique: «le mythe se transforme non par l’activité même de sa réception, mais par réorganisation de son architecture narrative» (2005: 95). Dans le cas d’A Touch of Darkness, le mythe est repris dans un roman romantique; on y retrouve donc certains codes du genre, dont l’homme solitaire et mystérieux qui séduit la femme intriguée et naïve (Alice Béja, 2019). La signification du mythe original est donc altérée puisqu’expliquer le cycle des saisons aux jeunes adultes n’est plus nécessaire dans la société. Le roman présente donc une histoire divertissante qui montre les personnages divins sous un nouveau jour en leur donnant plus de dimension.

Dans l’œuvre de Robert, les membres du Conseil des Treize sont élus et ils règnent jusqu’à leur décès. Selon cette logique, il y a eu plusieurs Zeus, Déméter et Hadès, pour ne nommer que ceux-ci. L’humanisation des dieux ainsi que leur élection démocratique sont des aspects qui poussent l’actualisation du mythe un peu plus loin que dans le cas du roman de St. Clair. L’idée des célébrités est reprise dans Neon Gods, bien que les membres du Conseil des Treize s’apparentent davantage à des politiciens. Cela dit, Perséphone est beaucoup plus entreprenante que dans le mythe original. En effet, elle est celle qui propose un accord à Hadès, et non l’inverse: «I have to throw myself on Hades’s mercy and convince him that we can help each other» (Katee Robert, 2021: 68). D’ailleurs, comme il a été possible de le constater plus tôt avec l’analyse des scènes où les protagonistes se rencontrent, l’audace de la déesse ainsi que sa détermination sont des caractéristiques qui se trouvent dans les deux romans. Perséphone est donc davantage dans une position de sujet puisqu’elle exerce un certain pouvoir sur Hadès. Il s’agit d’un aspect qui n’est pas présent dans le mythe grec, mais qui fonctionne avec la trame narrative et qui plait au public d’aujourd’hui. Le roman de Robert propose aussi des chapitres où le narrateur alterne entre les deux protagonistes. Il est donc innovateur d’avoir accès au point de vue de l’homme qui est séduit par la femme, ce qui n’est habituellement pas le cas dans les romans romantiques. Neon Gods, à travers le bricolage mythique mentionné plus haut, actualise aussi le mythe grec en optant pour une posture plus contemporaine, ce qui incite le lecteur à penser les dieux grecs autrement.   

 

Pourquoi réécrire ?

Dans cet ordre d’idée, il est intéressant de s’interroger sur les motifs qui poussent les écrivains à reprendre les mythes pour en faire des romans. En étudiant les écrits d’Eco et de Wunenburger, deux théoriciens qui se sont penchés sur la question du mythe, il est possible de déceler la raison principale derrière la réécriture, soit le fait qu’il s’agisse d’un projet propice à la création. Selon Eco, qui s’intéresse dans son article au contexte éditorial des bandes dessinées de Superman, les «imaginary tales sont fréquents, de même que les untold tales, ces récits qui concernent les évènements déjà racontés, mais où “l’on avait omis de dire quelque chose”, si bien qu’on les re-dit, sous un autre angle, découvrant ainsi des aspects latéraux» (1993: 126. L’auteur souligne). Il est possible de constater que cette affirmation s’applique aux réécritures puisqu’elles reprennent un récit qui existe déjà et qu’elles y apportent des modifications. C’est d’ailleurs ce qu’A Touch of Darkness et Neon Gods proposent en actualisant le mythe d’Hadès et de Perséphone. Pour Wunenburger, «les images mythiques induisent en fait, chez l’écrivain […], un climat créatif, une dynamique opérative, parce que les mythes ouvrent par eux-mêmes un espace de création» (2005: 92). En réécrivant des mythes, les auteurs décident donc d’en combler les lieux d’indéterminations. Dans le cas d’Hadès et de Perséphone, c’est leur histoire d’amour insolite et improbable qui anime la curiosité. St. Clair et Robert ont donc décidé d’écrire leur roman en mettant au premier plan la relation intime des protagonistes. Il s’agit d’un détail qui n’est pas exploité dans le mythe d’origine, mais qui a forcément intéressé les romancières au point où elles ont décidé d’inventer des récits en laissant libre cours à leur imagination. Le mythe sert donc à favoriser la création puisqu’«au lieu d’être confronté au vertige de la page blanche, […] l’artiste trouve dans le mythe le mouvement élémentaire qui fait surgir une histoire, le texte initial à partir duquel un nouveau monde peut être dit ou montré» (idem.).

Évidemment, la réécriture a aussi un objectif commercial étant donné que l’intérêt réside dans le «recyclage» de ce que le public connait déjà:

These forms of multiplicity volatilize the original […] by announcing that there is “more” that the urtext does not contain and likely does not anticipate, in the process of revealing that there is a desire for continuation or repetition that the original cannot satisfy. (Amanda Klein et R. Barton Palmer, 2016: 4).

Selon cette logique, le public est porté à consommer tous les produits dérivés qui sont en lien avec la série ou les personnages qui l’intéressent. En prenant l’exemple du mythe de Superman développé par Eco, il est possible de remarquer que les mêmes réflexions s’appliquent au mythe d’Hadès et de Perséphone: «le lecteur retrouve sans cesse ce qu’il sait déjà, ce qu’il veut savoir une fois encore et ce pour quoi il a acheté le volume» (Umberto Eco, 1993: 135). Ainsi, l’amateur de Superman continue à consommer les ouvrages et les films le mettant en vedette puisqu’il souhaite retrouver cette histoire. La même chose peut être dite des adeptes de James Bond qui regardent les longs métrages alors que «chaque nouvelle aventure débute comme si on avait appuyé sur reset» (Frédéric Julien, 2015: 43). La familiarité des mythes est ce que recherche le consommateur, c’est pour cette raison qu’ils sont un espace de création pour les écrivains. Ils prennent évidemment un risque en publiant leurs récits, mais celui-ci est moins grand puisqu’il existe déjà un public pour leurs œuvres. En ce sens, les consommateurs de mythologie grecque qui connaissent l’histoire d’Hadès et de Perséphone s’attendent à retrouver dans les récits dérivés une dynamique de pouvoir entre les personnages, un contrat qui les unit puis une relation amoureuse. C’est probablement pour ces raisons que les réécritures contemporaines, dont A Touch of Darkness et Neon Gods, sont des romans romantiques, voir érotiques. Les topos du mythe original se prêtent aux codes de la romance ce qui en fait un genre idéal pour s’approprier le récit des souverains de l’Enfer.

 

La place des réécritures dans l’industrie culturelle

Les attraits de la réécriture mythique sont donc créatifs et économiques, deux rouages importants de l’industrie culturelle. Edgar Morin, dans son article intitulé « L’industrie culturelle », s’intéresse au fonctionnement de celle-ci et insiste sur son aspect standardisé. Selon le sociologue, le modèle de production de l’industrie est un modèle bureaucratique industriel qui «filtre l’idée créatrice […] puis remet le projet entre les mains de techniciens qui lui font subir leurs propres manipulations» (1961: 41). Ce système fait en sorte que l’industrie se retrouve prise entre le conformisme qu’instaure le modèle bureaucratique industriel et l’originalité que souhaite le consommateur. Morin soulève alors une question fondamentale lorsqu’il se demande comment «produire de la culture» lorsque cette tension entre conformisme et originalité existe. C’est ce qui l’amène à dire que les standards doivent être produits en fonction des archétypes, mais que les biens de consommation doivent être individualisés (idem.). Selon ce postulat, le mythe grec d’Hadès et de Perséphone est un archétype et les produits dérivés, dont les romans, sont les créations individualisées.

Selon Edgar Morin, la production de masse a deux objectifs, soit le profit et la consommation des produits par le plus grand nombre de gens possible (ibid.: 44). Ces deux éléments font en sorte que l’industrie culturelle tend à l’universalité, ce qui implique une standardisation des produits distribués. Ce postulat soulève une autre dualité que l’on retrouve dans l’industrie culturelle, mais aussi dans la réécriture, soit celle entre le changement et la fidélité: «The dialectic between “new” and “old” in film and media production answers the industry’s need for both regularity […] and originality […]» (Amanda Klein et R. Barton Palmer, 2016: 4). C’est à se demander quel degré de liberté possèdent le créateur et l’auteur. En effet, si le roman n’est pas assez innovateur, le manque de nouveauté risque de lui être reproché par le public, alors que si l’œuvre dérive trop du mythe original, c’est son manque de fidélité qui sera dénoncé. Avec A Touch of Darkness et Neon Gods, les autrices ont trouvé un juste milieu entre innovation et fidélité puisque la base du mythe original, qui repose sur l’enlèvement de Perséphone qui se doit ensuite de partager son temps entre deux mondes, est conservée. Les romans étudiés sont donc standardisés afin de correspondre aux codes du genre romantique, mais, à travers la créativité des autrices, il est possible de déceler les rouages du mythe grec. Ainsi, comme le mentionne Wunenburger, «[u]ne création n’est vraiment possible que si elle prend appui sur le récit d’une première création» (2005: 92)., ce qui fait en sorte que les textes sont donc nécessairement tous en relation à un certain degré. C’est aussi le postulat de Gérard Genette dans Palimpsestes lorsqu’il s’intéresse à l’hypertextualité: «il n’est pas d’œuvre littéraire qui, à quelque degré et selon les lectures, n’en évoque quelque autre […]» (1982: 16). Selon la théorie de Genette, il est possible d’affirmer que les réécritures sont des hypertextes puisqu’elles résultent de modifications d’un texte antérieur (ibid.: 14).

 

Des engrenages de l’industrie culturelle

En guise de conclusion, bien que le terme «industrie culturelle» soit souvent utilisé pour décrire le cinéma, il se réfère notamment à tout type d’industrie de la culture populaire, dont la littérature. Les réécritures en sont un excellent exemple puisqu’elles reprennent concrètement des éléments essentiels des textes parus avant eux. Dans le cas d’A Touch of Darkness et Neon Gods, le mythe grec d’Hadès et de Perséphone est raconté de manière plus contemporaine afin de donner une nouvelle dimension aux souverains de l’Enfer. Les mythes qui inspirent les réécritures sont d’ailleurs considérés comme étant des moteurs de création. C’est leur flexibilité qui fait en sorte que plusieurs auteurs s’en inspirent pour créer leurs romans. Évidemment, l’attrait commercial des réécritures ne peut être négligé puisqu’il existe déjà un public pour les récits dérivés. En effet, le consommateur est toujours en quête de familiarité et désir retrouver perpétuellement ce qu’il connait. C’est un phénomène présent au cinéma, comme il est possible de le remarquer avec Superman et James Bond, mais il est possible d’arriver à la même conclusion avec les réécritures. Il existe donc une tension constante entre innovation et création dans le monde du cinéma, mais aussi en littérature, puisque tous les textes sont reliés entre eux d’une manière ou d’une autre, comme le démontrent les théoriciens soulevés dans cette analyse. Au niveau de la production, l’industrie culturelle souhaite donc avoir le meilleur des deux mondes en créant des produits conformes et standards, mais qui sont créatifs. Cette dualité nécessite donc l’usage de stéréotypes, qui sont au cœur de toutes les productions, et qui sont retravaillés pour donner une illusion de pluralité et d’individualité. Dans cette logique, il est possible d’affirmer que la réécriture, dont celle du mythe d’Hadès et de Perséphone, s’inscrit dans l’engrenage de l’industrie culturelle puisqu’elle propose un produit dérivé ayant comme substrat un archétype bien connu. Cela dit, malgré le fait que l’histoire du dieu de l’Enfer et de la déesse du printemps se prête au genre romantique, il est intriguant de remarquer qu’A Touch of Darkness et Neon Gods sont des romans au contenu explicite. Il serait donc intéressant d’analyser les raisons pour lesquelles le mythe original donne lieu à des réécritures érotiques puisqu’il s’agit de la ligne directrice de la plupart des récits qui reprennent ce mythe.

 

BIBLIOGRAPHIE

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