À l’écoute du country, paradoxale pratique culturelle française

À l’écoute du country, paradoxale pratique culturelle française

Soumis par Paul Bleton le 07/01/2014
Institution: 
Catégories: Esthétique

 

Tout navigateur le sait bien, l’écoute est affaire d’âme et de gaine. Pour évoquer la musique country, de la première, c’est-à-dire la chanson, la musique, l’ordre des sons, il ne sera guère question ici, alors même que sa stabilité générique, compositionnelle, instrumentale, stylistique, lui procure une forte identité, déclenchant immédiatement attitude de réticence dégoûtée ou ironique ou confortable reconnaissance teintée d’enthousiasme. Profitant de cette familiarité du genre aux oreilles des auditeurs de musique populaire, fussent-ils français, il s’agira ici de plutôt proposer l’étude de la gaine culturelle de cette âme musicale en suggérant que dans son écoute confluent à la fois un imaginaire largement issu de la culture médiatique et diverses pratiques de réception socialement minoritaires, mais vigoureusement assumées.

Un imaginaire largement issu de la culture médiatique? Il s’agit de celui de la conquête de l’Ouest américain, présent sous forme de disparitions et résurgences dans la culture populaire française surtout depuis la ruée vers l’or de Californie en 1848: notamment sous forme romanesque à travers Gabriel Ferry, Gustave Aimard, puis la coexistence de traductions (dime novels puis romans, jusqu’à la fin de la collection Western du Masque) et d’œuvres originales (Georges Fronval, Pierre Pelot…), mais aussi sous forme filmique (où les importations hollywoodiennes rend anémique la production française) et sous forme  de BD. Depuis une trentaine d’années, le roman western sériel a disparu et, malgré la persistance de sa fétichisation, le film western américain n’est plus qu’un marché de masse occasionnel. En revanche, après son déclin dans la presse illustrée pour la jeunesse, la santé éditoriale de la BD western et son renouveau en fonction d’un public plus adulte depuis les années 90 a permis de voir à la fois l’émergence caractéristique de deux thématiques –la fragilité du lien et la fragilité du corps– et de quatre stratégies narratives et figuratives –la soumission aux lois du genre1, leur redynamisation2, leur contestation3 et  l’innovation d’un espace générique inédit, mais marqué par le souvenir du genre traversé4– les décennies subséquentes ne montrant aucun signe d’essoufflement.

D’une part, la musique country relève de cet imaginaire. Plutôt que par l’évocation de thèmes, c’est par un trait relationnel qu’elle le montre: la place de cet imaginaire dans la culture française contraint à ne pas se contenter de parler des œuvres importées, mais de la distance et du voyage entre culture source et culture d’accueil et de ses trois problématiques: celle, asymétrique, des relations centre-périphérie; celle, asynchrone, de l’adaptation, de l’émulation; et celle de la  réception et des formes d’appropriation culturelle.

 

Country: du spectacle à la participation

En France, la chanson country est tendue entre un pôle de consommation et un pôle de participation. Consumériste, réactive, c’est une posture de simple réception des produits de l'industrie culturelle qui a été le corrélat de plusieurs générations de chanson country. Sans vraiment entrer dans la variété thématique et formelle de la musique country US, de ses publics de chaque branche ni de son histoire5, je rappelle brièvement  qu’elle s’est constituée par dépôts, influences et différenciations:

- par région: le hillbilly (qui a souffert longtemps de son image rustique, de son conservatisme esthétique et idéologique), le bluegrass kentuckien à la Bill Monroe, le zydeco louisianais, les worksongs a capella du sud-ouest, le honky tonk texan;

- par métissage: du blues rural (à la Blind Lemon Jefferson ou Leadbelly) au yodel suisse (enregistré pour la première fois en 1924 chez Columbia dans une chanson country par le chanteur-guitariste aveugle Riley Puckett: «Rock All Our Babies to Sleep»);

- par période, avec d’éventuels surgeons tardifs, comme le protest song à la Woody Guthrie, d’abord marqué par l’expérience des Okies de 1930-36 chassés du dust bowl par le vent et la sécheresse, qui séduira intellectuels radicaux et jeunesse urbaine des années 60 par le truchement des musicologues Alan et son père John Avery Lomax;

- ou par le développement des industries culturelles: comme le western et les cowboys chantants du cinéma à la Gene Autry, le western swing, les métissages avec le rock (rockabilly puis country rock à la Credence Clearwater Revival en réaction à l’invasion britannique), le fort mouvement centripète autour de Nashville et la réaction centrifuge des outlaws se regroupant plutôt à Austin…

En France, on aura puisé dans nombre de ces sous-genres. On importe à la pièce. Certains ici ont peut-être encore en mémoire  l’adaptation française écrite par Francis Blanche de «The Ballad of Davie Crockett» (1955) de Tom Blackburn et George Bruns qui servait d’indicatif à la série télévisée avec Fess Parker, reprise par Jack Irsa, Annie Cordy et, plus tard, Chantal Goya. Ou encore du «Dindon digne» que Les Pinsons (alias Raymond Devos et Roger Verbeck) avaient tiré de «Yankee Doodle»; ou de «Cavalier rouge» que le chanteur Marc Taynor avait adapté de Hank Williams… Mais on émule aussi – occasionnellement, comme Serge Gainsbourg avec l’Old Time «Un violon, un jambon» (1961) ou Joe Dassin avec le souriant et distancié «Les Dalton» (1967) ou, pour tout un disque, comme Zappy Max au Far West (1947), avec le big band de Jacques Hélian; ou, de manière plus régulière, plus continue, comme Alain Bashung en folk ou en country rock. Les adaptateurs ou émules réguliers, comme Hugues Aufray, adaptateur de Bob Dylan et de Roger Miller, et Francis Cabrel, très inspiré par le Dylan de Highway 61 et Blonde on blonde, se distinguent des rockers pré-britmania qui adaptent, comme le Dick Rivers [Hervé Forneri] de «Tu n'es plus là» (1963 –originellement «Blue Bayou» de Roy Orbisson), ou qui émulent comme l’Eddy Mitchell de «Nashville ou Belleville» (1984). Le guitariste virtuose du finger picking Steve Waring a, quant à lui, mis depuis longtemps son inspiration folk au service de la musique pour enfants, ce qui creuse encore son originalité par rapport à d’autres Américains vivant en France comme Phil Edwards, Orville Grant ou Liane Edwards, voire de groupes ou de chanteurs français chantant en anglais, récents comme Phil Fasan, The Bush, The Rusty Legs, les Dixie Cats, Amarillo, Appaloosa, Burning Dust, ou anciens comme Les Westerners qui, en différentes configurations chantent de l’Old Time depuis 1953…

Affaire d’époque? Affaire de genre? Il est à noter que la notoriété de tous ces derniers les place en dessous des ondes radar de la pipolisation; le country est encore un marché de niche plus qu’un marché de masse. Il a déclenché toutefois une pratique plus participative, permise par des festivals de musique. Depuis 1987, Festival country rendez-vous de Craponne s/Arzon en Haute-Loire, 3 jours en juillet; depuis 1993, Festival de musique country de Mirande dans le Gers, 6 jours en juillet; depuis 1993, Les Nuits cajun et zydeco de Saulieu, en Côte d’Or, 4 jours en août;  depuis 2002, l’American Day de Déols dans l’Indre; depuis 2004, Salvagny Country Tour à la Tour de Salvagny dans le Rhône; depuis 2006, Ardèche Festi West Country à Saint-Privat; sans parler du Festival country de Gramat, de West Country à Bain de Bretagne, ni des concerts individuels hors festival –le site Rockarocky.com annonçait 331 concerts de country, bluegrass et folk dans toute la France pour les seuls mois de mars et avril en 2010 et 43 de cajun & zydeco de mars à décembre, et je ne compte pas les concerts rockabilly… Aux spectacles musicaux, des très professionnels jusqu’aux rampes de lancement pour nouveaux talents (à Gramat, notamment), des abondants aux modestes  (6 jours et 80 concerts à Mirande), ces festivals ajoutent deux autres dimensions. Ils déclinent l’américanité dans des démonstrations, expositions et rassemblements : montgolfières, Harley Davidson  et voitures américaines customisées à Mirande; au Contry Bike Festival de Tours, concerts, danses en ligne, parade, animation, reconstitutions (campement cowboy, par exemple), rassemblement de bikers, de hot rods, de lowriders, de voitures américaines «classiques» et de camions Kenworth; conférences, films cajuns, sur la vie des cajuns, ou se déroulant en Louisiane, démonstrations de danse à Saulieu, à Saint-Dier d’Auvergne; démonstrations de danses indiennes et de danse en ligne, spectacles équestres, camps indiens, parades costumées, rassemblement de voitures US et de Harleys, festival de BD western, exposition d'artisanat western à Saint-Privat… À Saint-Agrèves, aux concerts s’adjoignent des spectacles classiques du rodéo (ropingbronc ridingpole bending, course de chuckwagons…) et à Tours un rodéo et des spectacles équestres. Par ailleurs, ils tressent les spectacles à des activités participatives: tir au mousquet à poudre noire (Tours), stages de danses (Craponne, Saulieu, Bain, Saint-Dier Country Festival…), de musique (à Craponne par exemple, chant, guitare, mandoline, banjo, dobro, violon, accordéon, contrebasse), concours (de bûcherons, à Saint-Privat; d’équitation western et de lasso à Gramat…)

Les initiatives commerciales ne manquent certes pas pour satisfaire ce goût pour l’Ouest et prolonger le bain dans l’univers de la wilderness américaine, des magasins spécialisés (vêtements, chaps, santiags et accessoires) aux nuitées dans un chuckwagon dans la Sarthe, des ranches pour pratiquer la monte western au labyrinthe de maïs sonorisé à thème western (au Ludale Parc de Pouligney-Lusan dans le Doubs).

La radio exemplifie bien la transition entre culture massmédiatique et réappropriation. À côté d’une institution, «WRTL Country», émission à diffusion nationale sur RTL, vieille de  plus d’un quart de siècle, animée à une heure tardive (de 0 à 3 heures) par un omniprésent Georges Lang programmant de la musique enregistrée et des entrevues de chanteurs américains (il a même pour ça reçu le Country International Broadcaster Award à Nashville en 2007), le nouveau paysage radiophonique offre plutôt un strapontin au contry: une quinzaine de radios locales (à Vire, Satillieu, Beaupuy, Chigny-les-roses, mais aussi Grasse, Limoges, Bordeaux, Orléans, Brest…) présentent régulièrement une émission spécialisée, au mieux 1 ou 2 heures bi-hebdomadaires –mais «Country Bunker» de Monique et Salvatore (Merizio) n’offre que 2 heures mensuelles sur RGB à Cergy. Le podcast élargit parfois la diffusion sur les ondes (comme «Country Bunker», «Country Show» de Patrice Lemaire à Bordeaux, «Country» de Forrestal [Jean-Yves Martello] à Grasse); mais WRCF [World Radio Country Family] basée à Saint-Aunès dans l’Hérault diffuse 24h sur 24 de la musique à danser sur la Toile…

À côté de la radio, des festivals et, a fortiori, des concerts, de courte durée par définition, des pratiques plus intensément participatives, de longue durée, nécessitent de la patience, de la persistance, du doigté, voire de l’érudition. Qu’on pense à des pratiques individuelles comme les stages de tambours chamanes ou de méditation en sagesse amérindienne, la pratique intensive du fiddle bluegrass, de la pedal steel ou de n’importe quel instrument country. Mais qu’on pense aussi à des pratiques fondatrices de sociabilité, clubs et associations et fanzines. Centres d’équitation de monte western et élevages de chevaux spécialisés (appaloosas, quarter horses); clubs de danse en ligne comme le Club Country Western qui donne des spectacles semi-professionnels; clubs historiques comme le Club confédéré et fédéral de France qui organise des activités se rapportant à la Guerre de Sécession; associations pour la promotion de la francophonie américaine, officielle comme France-Louisiane ou officieuse comme Vents du sud. Même si dans la sociabilité fanique les sites web tendent aujourd’hui à remplacer ce mode de communication, les fanzines et les bulletins de country semblent plutôt y trouver un complément. Certes, la complémentarité se réduit parfois à numériser les numéros d’un fanzine défunt et de le rendre disponible sur la Toile, comme Big Beat, un fanzine rockabilly né en 1969. Mais tel n’est pas le cas de fanzines comme Le Cri du coyote ou Bands of Dixie –le premier existe depuis 1987, sous-titré «le magazine des musiques traditionnelles américaines», le second est consacré au country et au rock sudistes6. Mais tel n’est pas le cas non plus de bulletins comme Bluegrass émanation de la France Bluegrass Musique Association, le Courrier de la Guerre d’Amérique, trimestriel publié par le Club confédéré et fédéral de France ou la lettre mensuelle, paraissant depuis 1998, de Country Music Attitude, association qui vise à promouvoir  cette musique en France…

 

Superposition et paradoxes

Sur le fond d’un déclin marqué du western filmique et de la disparition du western romanesque dans la culture médiatique française s’enlève donc l’exubérante santé de la BD et du country. Dans le cas de celle-ci, la dynamique est également répartie entre émetteurs et récepteurs. Tout d’abord, ils partagent une même phénoménologie du temps et de l’espace. Dans la lecture, le western romanesque enchevêtre des temps repliés, celui du présent de la lecture et du présent du mythe, celui extrayant mythe et éternité d’une Histoire bornée par la Guerre de Sécession et Wounded Knee, celui d’un paradis perdu fondé sur la régénération –qui présuppose un passé de civilisation (européenne) élidé ou abandonné7– celui du présent désenchanté et du lamento baby-boomeur pour une Amérique alors fascinante; alors que, dans les genres de l’aventure ayant subi l’attrait du modèle US après la Seconde Guerre mondiale, le western est le seul à avoir disparu de la littérature sérielle, fragilisé par le paradoxe le grevant (si l’Amérique comme modèle s’appliquait bien au futur de la SF ou au présent du thriller,  le western comme passé de ce modèle, d’un désirable futur de la France, ne pouvait être reçu que comme simulacre). En revanche, le temps propre à la musique country n’est ni narratif, ni complexe, ni replié; il n’a même guère à voir avec la mémoire; il se réduit à deux catégories simples: l’actualité et la nostalgie.

Par contre, une phénoménologie de l’espace du festival y repèrerait une catastrophe (dans le sens topologique) et un paradoxe. Catastrophe du lieu festif: le festival, ses spectacles, ses activités permettent une immersion, condition à la sortie du quotidien, plaçant le mythe à portée pour quelques euros –utopie justiciable d’une lecture sémiotique comme celle proposée par Louis Marin (1973)8. Paradoxe de l’imaginaire spatial: à défaut de l’aventure comme mode d’appréhension de l’espace, camions Kenworth, Harleys et voitures customisées deviennent les signes d’un seul interprétant, la liberté. Non pas la valeur inscrite au fronton des mairies républicaines, qui ne fait plus rêver seule, mais couplée à grands espaces, quasi-vides mais carrossables, denrée rare en France, sans doute, mais dont l’Europe n’est pas complètement dépourvue, sans pour autant faire rêver le populaire sur la Laponie, par exemple.

Si, au lieu de souligner les paradoxes que génère la superposition de l’histoire et de la géographie américaines sur le territoire français, on tentait de caractériser cette culture country française, c’est en fait cette idée d’immersion qui en capturerait le plus synthétiquement l’effet. L’écoute de la musique country permet l’immersion dans un univers de référence où l’on se projette, avec l’implication de toute sa personne, du déguisement au geste, de l’érudition autodidacte à l’affirmation de l’authenticité comme valeur-princeps à la fois éthique et esthétique, pour se sentir soi-même. Immersion dans une expérience partagée fondatrice d’une communauté: pas la communauté argumentative, ni la communauté consensuelle, mais une communauté partageant un même affect provoqué par une même voix9, un même effet sonore –par exemple, le twang porté par le baryton/basse de Johnny Cash, par des voix de tête ou obtenu à la guitare électrique par le canal brillant et la réverbération, ou encore le registre plaintif, voire  geignard, fréquent dans le country, mais bien distinct de celui du doo-wop noir10… Immersion dans une communauté participant à la construction d’un même univers, extériorisé par des vêtements, des voitures, des genres discursifs – depuis l’échange sur les goûts et les couleurs jusqu’au savoir encyclopédique du collectionneur, du passionné, de l’aficionado.

Forte attraction, l’immersion n’est toutefois pas la seule si l’on suit la suggestion de Marie-Laure Ryan (2001), qui voit dans immersion et interactivité les deux pôles de développement de toute réalité virtuelle. Il y a certes interactivité dans les jeux vidéo, devenue la forme dominante dans l’économie des loisirs. Comme son chiffre d’affaires dépasse celui du cinéma depuis le début de la décennie passée, les éditeurs (Atari, WiiWare, XLA, Infogrames, Take Two Interactive, etc.) ne pouvaient laisser le thème western inexploité, d’où la conception de jeux comme Desperados Wanted Dead or Alive ou Red Dead Redemption, dont la figuration est marquée par l’esthétique du western-spaghetti. L’écoute du country attire toutefois plutôt l’attention sur une autre forme, moins liée à l’industrie culturelle, engageant bien plus l’initiative des amateurs: le ludisme interlectal. Ce jeu entre deux langues y a de nombreuses variantes: l’écoute de chansons en anglais, qui ne présuppose d’ailleurs nullement un bilinguisme de l’auditeur même si le bilinguisme scolaire favorise largement un anglais véhiculaire; les chanteurs français chantant en anglais; les uns et les autres parsemant leurs phrases de mots anglais; les uns et les autres communiant dans le plaisir du jeu de mots bilingues –les palmes revenant au groupe de bluegrass alsacien Mart’o Pickers, à l’association WestRennes Country Dance et au Salvagny Country Tour à la Tour de Salvagny… Ce jeu peut impliquer plus que le français et l’anglais: au-delà du militantisme sympathique, mais exotique en faveur du cajun chez Bandzydeco, ou de l’intérêt porté à la culture navajo chez Trinh Luong la chanteuse de Country Postal11, dans les cultures régionales dont la langue vernaculaire occupe une position dominée, ou a déjà largement été laminée, le country permet de sauter par-dessus la langue de la scolarisation et de la culture lettrée, met en spectacle un bilinguisme de contournement, voire de protestation indirecte. Voyez les stratégies distinctes de déterritorialisation et reterritorialisation des Schlàbbe Ritter, qui chantent des classiques country en alsacien, et de Phil Fasan qui chante «Drugs or Jesus», mais compose aussi l’hymne du club de rugby  de Montauban…

Au-delà de ces considérations sociolinguistiques, le mot country lui-même pose des questions géographiques. Cette montée en puissance de la musique country incite plus spécifiquement à s’étonner qu’elle arrive dans un pays à qui Henri Mendras annonçait La Fin des paysans dès 1967 et, alors même que la sociologie française ne s’intéresse guère à un tel phénomène12, à lui rechercher des corrélats sociologiques non seulement quant aux pourcentages d’amateurs vivant en zone rurale, en zone urbaine et en périphérie, mais aussi aux pourcentages de néo-campagnards (retraités, jeunes familles cherchant à accéder à la propriété…) et aux pourcentages de déplacements économiquement contraints affectant les couches populaires vers les grandes périphéries urbaines et rurales décrites par Christophe Guilly et Christophe Noyé (2006), etc. Plus largement, cet univers imaginaire choisi, dont on voit à la fois la diversité et l’unité, a-t-il un corrélat social? Si oui, en France, quelle(s) classe(s) sociale(s) trouve(nt) donc dans cet imaginaire country l’univers qui lui (leur) permet d’à la fois se représenter –mieux que ce que ne font culture lettrée et culture médiatique, mais par rapport et en opposition à elles– de thématiser leurs préoccupations propres, d’investir la place publique avec ces thèmes socialement pertinents pour eux et de s’inventer un tribalisme participatif?

Il y a matière à continuer d’interroger la topologie paradoxale de l’imaginaire propre à la musique country dans la culture populaire française, imaginaire recontextualisé par la marche forcée vers des États-Unis d’Europe qui laisserait ce(s) groupe(s) dubitatif(s), sceptique(s), voire réticent(s), eux qui rêvent plutôt à des États-Unis d’Amérique: un Ouest ni externe, ni interne, mais ouesterne.

 

Références

Études

Guilly Christophe et Christophe Noyé (2006), Atlas des nouvelles fractures sociales en France, Paris, Autrement.

Lyotard Jean-François (2000), Misère de la philosophie, Paris, Galilée.

Malone Bill C. (, 2002 [1968]), County Music, USA, Ausrin, University of Texas Press.

Marin Louis (1973), Utopiques. Jeux  d’espace, Paris, Minuit, collection Critique.

Mendras Henri (1967), La Fin des paysans, innovations et changement dans l'agriculture française, Paris, sédéis, Futurible n° 6. 

Peterson Richard A. (1992), «La fabrication de l’authenticité», Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 93, juin, p. 3-20. trad. Michèle Mittner.

Ryan Marie-Laure (2001), Narrative as Virtual Reality: Immersion and Interactivity in Literature and Electronic Media, Baltimore, Johns Hopkins University Press.

Slotkin Richard (1973), Regeneration Through Violence: The Mythology of the American Frontier, 1600-1860, Middletown (Conn.), Wesleyan University Press.

 

BD

Baladi Alex (1997), Goudron plumé, Paris, Delcourt, collection Encrages.

David B et Christophe Blain (1997-2000), série Hiram Lowatt et Placido,

t. 1. La Révolte d'Hop-Frog, Paris, Dargaud, collection Poisson pilote (1997),

t. 2. Les Ogres, Paris, Dargaud, collection Poisson pilote (2000).

Hermann [Huppen] (1999), On a tué Wild Bill, Paris, Dupuis, collection Aire libre.

Lamy Fabrice (dessins), Thierry Cailleteau, Fred Duva (scénario) (1995), 500 fusils, Paris, Delcourt.

Lamy Fabrice (des.), Olivier Vatine et Alain Clément (sc.) (1991), Adios Palomita, Paris, Delcourt, collection Conquistador, série Trio Grande.

Juillard (des.) et Cothias (sc.) (1995-2001), série Plume aux vents,

La Folle et l'Assassin, Paris, Dargaud (1995),

L'Oiseau Tonnerre Paris, Dargaud (1996),

Beau-Ténébreux, Paris, Dargaud (2001).

Trondheim Lewis (2000 [1995]), Blacktown, Dargaud, collection Poisson Pilote, série Les Formidables aventures de Lapinot – couleur Brigitte Findakly.

 

Chansons

Blackburn Tom, George Bruns, adapt. Francis Blanche, chant Serge Singer, acc. Trio Cluny (1955),  «La ballade de Davy Crockett», s.l, RCA, 1956. 

Dassin Joe, Jean-Michel Rivat, Frank Thomas (1967), «Les Dalton»  in Les Deux Mondes de Joe Dassin, CBS,.

Gainsbourg  Serge (1961), «Un violon, un jambon», in Vilaine fille et mauvais garçon,  Philips.

Moine Claude [Eddy Mitchell] & Pierre Papadiamandis (1984). «Nashville ou Belleville», in Racines, RCA.

Rivers Dick [Hervé Forneri] (1964) «Tu n'es plus là» (1963), in  Rien que toi, Pathé-Marconi.

 

Jeux vidéos

Desperados Wanted Dead orAlive, Infogrames, 2001.

Red Dead Redemption, Take Two Inrteractive,  2005.

 

 

  • 1. Par ex. Fabrice Lamy & al. (1995).
  • 2. Par ex. Juillard & Cothias (1995-2001).
  • 3. Par ex. Lewis Trondheim (2000).
  • 4. Par ex. Alex Baladi (1997) ou David B & Christophe Blain (1997-2000).
  • 5. L’étude classique sur le sujet reste celle de Bill C. Malone (2002 [1968]).
  • 6. Sans parler de ceux qui n’ont pas survécu jusqu’à aujourd’hui, comme Country Music USA, 1983-1989, ou Country Music Memorial, 1980-1983.
  • 7. On reconnaît là l’hypothèse classique de Richard Slotkin (1973).
  • 8. Sans pour autant que ces utopies festivalières parviennent au totalitarisme spatial de l’utopie disneyienne.
  • 9. Cf. Jean-François Lyotard (2000).
  • 10. Guère porté par le falsetto, alors que celui-ci est une des caractéristiques du doo-wop  –fondé d’ailleurs un morceau originellement country, Crying In The Chapel (1953), un anatole qui avait fait le succès des Orioles.
  • 11. Qui pourtant chante (surtout) en anglais.
  • 12. Ainsi, à ma connaissance, les Actes de la recherche en sciences sociales n’ont publié qu’un seul article sur le sujet:  une traduction, de Richard A. Peterson (1992), portant sur la musique country américaine.