Le génie du mal en trois (ou quatre) personnages
Depuis le promontoire de notre postmodernisme recycleur, la «popification» semble bien la moindre des choses. Outre l’appel des œuvres à l’érudition pop du public et la pertinence du strabisme interprétatif lors de l’acte de réception (un œil sur l’œuvre recycleuse et un autre sur son modèle recyclé reconnu), cet air du temps incite aussi le discours critique à rivaliser d’audacieux courts-circuits historico-esthétiques, de sagaces reconnaissances.
L’analyse suivante tente de mettre en perspective deux films du mouvement cinématographique néo-noir: «Memento» de Christopher Nolan (2001) et «Shutter Island» de Martin Scorsese (2010). Outre leur association au courant noir, les deux longs métrages se font aussi coller une étiquette de film à mystère, où le spectateur se voit délégué la tâche de reconstituer les évènements à l’intérieur d’une construction visuelle et narrative éclatée.
Très tôt dans son histoire, l’énigme, fondement du genre policier, incite à machiner deux registres: la double histoire (celle du récit de l’enquête, où l’enquêteur part de l’énigme pour aller vers la solution, ce qui déplie celle du crime lui-même et remet dans l’ordre motivations, opportunité et modus operandi du criminel apparus dans l’ordre inverse à la lecture du récit de l’enquête) et la narration réticente (le lissage romanesque du récit de l’enquête dissimule la disparité des connaissances que personnages et lecteur peuvent avoir de l’histoire du crime).
Tiraillé entre le thriller policier, le film noir et le western, le long métrage des frères Cohen, No country For Old Men, tente d'assouvir le besoin existentiel qu’a le spectateur d'exalter ses souffrances à travers un héros déchu qui évolue dans un univers en complète rupture avec son passé. Ce chef-d’œuvre est une adaptation du roman de Cormac McCarthy, du même titre, paru en 2005. Acclamé pour la vigueur de son style et sa rigueur peu commune, l'écrivain présente un polar basé sur les liens entre le déclin de l'homme et celui de son milieu.
Pour qui aime les énigmes policières, les histoires de chambres closes offrent un grand attrait, car ces histoires sont le théâtre d’énigmes particulièrement ingénieuses. Une île isolée, où il n’y a plus aucun moyen pour les habitants de rejoindre le continent, présente le même univers qu’une chambre close. Les îles offrent cependant une possibilité infinie de tableaux et elles forment des mondes à part ayant une vie propre. C’est de cet univers singulier dont il sera question dans cet article.